Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, met la pression sur le gouvernement. Sans demander la démission du ministre Woerth (qui ne «modifierait» rien), il exhorte l'exécutif à «bouger» sur les retraites «ou alors on aura une importante crise sociale à la rentrée». Il critique aussi le présidentialisme, la situation politique et les rivalités à droite: «Jean-François Copé (le patron des députés UMP) a sa propre stratégie politique, et le groupe parlementaire est de plus en plus au service de sa stratégie.» Dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 juillet, la majorité a rejeté un amendement du gouvernement qui aurait permis d'instaurer une once de dialogue social dans les entreprises de moins de onze salariés.
Le ministre du travail, Eric Woerth, est-il affaibli?
Oui. (Long silence) Mais le personnage clé, c'est le président de la République. Nicolas Sarkozy peut bien remanier, mettre n'importe qui pour mener le dossier retraites: c'est lui qui ménera la réforme. Cette séquence fragilise (l'exécutif): avoir le ministre porte-parole de la réforme dans cet état-là... Mais un changement de ministre ne modifierait rien. D'autant que lorsque j'entends les hypothèses sur un remaniement... Xavier Bertrand (secrétaire général de l'UMP, ministre du travail de 2007 à 2009) serait tout sauf un gage d'ouverture: c'est quand même un de ceux qui ont enterré le thème de la pénibilité lorsqu'il était au ministère du travail! Le mot d'ordre en ce moment, c'est: «il faut à tout prix sauver le soldat Woerth». Le dossier retraites risque d'être pris en otage de cette situation. Car si le gouvernement esquisse le moindre mouvement, il sera interprété à partir d'une autre grille de lecture, celle de la polémique politique actuelle. Pourtant, l'exécutif va devoir bouger sur les retraites. Ou alors on aura une importante crise sociale à la rentrée.
Comment décririez-vous la situation sociale et politique?
J'ai été un des premiers à mettre en garde: dès lors que le président de la République revendiquait d'intervenir sur tout, dès lors qu'il prétendait être l'omniprésident, il était évident que ça allait provoquer une situation de blocage, tôt ou tard, et singulièrement sur les questions sociales. Je crois qu'on y est, ou en tout cas on n'en est pas loin. La situation actuelle peut déboucher sur une crise institutionnelle : quand le président gouverne au lieu de présider, en cas de mécontentement lourd, on arrive à un blocage. C'est très préoccupant.
Il n'y a plus de structures d'appel. Un président de la République, c'est quelqu'un qui sait apprécier ce qui est acceptable ou bien ce qui rejeté par le pays. Il sait prendre le recul nécessaire, éviter les blocages. Or, Nicolas Sarkozy a théorisé le fait qu'une fois élu, il avait les pleins pouvoirs. Quoi qu'il arrive, quels que soient les sujets (même ceux qu'il ne maîtrise pas forcément), les mécontentements et les protestations, il arbitre, et son choix s'impose. Au motif qu'il a été élu, il prétend avoir une légitimité de fait pour arbitrer, quoi qu'en pensent les autres acteurs, voire contre l'avis unanime des autres acteurs. C'est ce qui s'est passé avec les retraites: tous les syndicats disent qu'il s'agit d'une "réforme injuste", il n'y a pas photo.
Comment sortir de cette situation?
Ça... je n'ai pas la clé. Syndicalement, on n'a pas forcément la clé.
Est-ce que la crise politique actuelle ne peut pas vous profiter?
On n'en profite pas du tout. Dernier exemple, dans la nuit de mercredi à jeudi (7 et 8 juillet), avec le texte sur le dialogue social dans les TPE. Le patronat a fait un lobbying d'enfer pour obtenir du groupe majoritaire à l'Assemblée de s'opposer au texte du gouvernement... Là, on touche au jeu à droite qui est déjà à l'œuvre dans la perspective de la présidentielle: Jean-François Copé (le patron des députés UMP) a sa propre stratégie politique, et le groupe parlementaire est de plus en plus au service de sa stratégie. Dans cette configuration politique, il devient particulièrement compliqué d'assumer des responsabilités syndicales. En fonction des circonstances, l'interlocuteur déterminant change. Un coup, c'est le président de la République, un coup le président du groupe UMP – ce n'est jamais un ministre, pas même le premier ministre. Alors on peut faire le remaniement qu'on veut, je crains que ça ne change pas grand-chose...
Que reste-t-il du texte sur le dialogue social dans les très petites entreprises?
Il est vide de sens. On va organiser des élections tous les quatre ans pour les salariés des TPE uniquement pour qu'ils s'expriment sur des préférences syndicales sans que ça ait d'impact sur leur quotidien. C'est stupide! Ce vote ne servira à rien, sauf contribuer à définir la représentativité nationale des syndicats. Le groupe UMP a repris in extenso la théorie patronale (la CGMPE et le Medef, car d'autres organisations patronales étaient pour), qui exclut de faciliter la moindre présence dans les TPE. C'est une démarche très antisyndicale. Ce sont pourtant les mêmes députés qui ont voté la loi du 20 août 2008 sur la représentativité... Mais on n'est plus en 2008, la configuration politique est différente.
Une configuration politique assez folle, à vous écouter...
Oui, bien sûr. Et à ce point critique qu'elle génère un sentiment que les élus sont tous pourris. Dans une démocratie, on ne peut pas se satisfaire de la montée de ce genre de sentiment. C'est préoccupant, indépendamment des préférences partisanes qu'on peut avoir. Ce n'est pas sain.
Le climat est-il favorable pour une forte mobilisation début septembre? Car le calendrier n'est pas idéal, été oblige...
Il a été fait pour nous compliquer la tâche. C'est la troisième fois qu'on nous fait le coup d'une réforme en juillet, après les décrets Balladur de 1993, la loi Fillon de 2003... Cette fois, ils ont quand même senti le vent du boulet, et renoncé au plan initial qui était de faire adopter la loi en juillet. Mais l'examen du texte commencera quand même très tôt, le 6 septembre. On a été capables d'une grande action nationale un 24 juin, ça ne s'est jamais vu à cette échelle-là depuis de très nombreuses années. On a créé les conditions pour fixer un RDV à la rentrée, le 7 septembre. Le calendrier est serré. Les premières mobilisations d'ampleur lors d'une rentrée, c'est en général plutôt fin septembre début octobre, jamais plus tôt... Mais je pense que la mobilisation sera d'ampleur, à la grande surprise du gouvernement.
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Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, met la pression sur le gouvernement. Sans demander la démission du ministre Woerth (qui ne «modifierait» rien), il exhorte l'exécutif à «bouger» sur les retraites «ou alors on aura une importante crise sociale à la rentrée». Il critique aussi le présidentialisme, la situation politique et les rivalités à droite: «Jean-François Copé (le patron des députés UMP) a sa propre stratégie politique, et le groupe parlementaire est de plus en plus au service de sa stratégie.» Dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 juillet, la majorité a rejeté un amendement du gouvernement qui aurait permis d'instaurer une once de dialogue social dans les entreprises de moins de onze salariés.
Le ministre du travail, Eric Woerth, est-il affaibli?
Oui. (Long silence) Mais le personnage clé, c'est le président de la République. Nicolas Sarkozy peut bien remanier, mettre n'importe qui pour mener le dossier retraites: c'est lui qui ménera la réforme. Cette séquence fragilise (l'exécutif): avoir le ministre porte-parole de la réforme dans cet état-là... Mais un changement de ministre ne modifierait rien. D'autant que lorsque j'entends les hypothèses sur un remaniement... Xavier Bertrand (secrétaire général de l'UMP, ministre du travail de 2007 à 2009) serait tout sauf un gage d'ouverture: c'est quand même un de ceux qui ont enterré le thème de la pénibilité lorsqu'il était au ministère du travail! Le mot d'ordre en ce moment, c'est: «il faut à tout prix sauver le soldat Woerth». Le dossier retraites risque d'être pris en otage de cette situation. Car si le gouvernement esquisse le moindre mouvement, il sera interprété à partir d'une autre grille de lecture, celle de la polémique politique actuelle. Pourtant, l'exécutif va devoir bouger sur les retraites. Ou alors on aura une importante crise sociale à la rentrée.
Comment décririez-vous la situation sociale et politique?
J'ai été un des premiers à mettre en garde: dès lors que le président de la République revendiquait d'intervenir sur tout, dès lors qu'il prétendait être l'omniprésident, il était évident que ça allait provoquer une situation de blocage, tôt ou tard, et singulièrement sur les questions sociales. Je crois qu'on y est, ou en tout cas on n'en est pas loin. La situation actuelle peut déboucher sur une crise institutionnelle : quand le président gouverne au lieu de présider, en cas de mécontentement lourd, on arrive à un blocage. C'est très préoccupant.
Il n'y a plus de structures d'appel. Un président de la République, c'est quelqu'un qui sait apprécier ce qui est acceptable ou bien ce qui rejeté par le pays. Il sait prendre le recul nécessaire, éviter les blocages. Or, Nicolas Sarkozy a théorisé le fait qu'une fois élu, il avait les pleins pouvoirs. Quoi qu'il arrive, quels que soient les sujets (même ceux qu'il ne maîtrise pas forcément), les mécontentements et les protestations, il arbitre, et son choix s'impose. Au motif qu'il a été élu, il prétend avoir une légitimité de fait pour arbitrer, quoi qu'en pensent les autres acteurs, voire contre l'avis unanime des autres acteurs. C'est ce qui s'est passé avec les retraites: tous les syndicats disent qu'il s'agit d'une "réforme injuste", il n'y a pas photo. -
Comment sortir de cette situation?
Ça... je n'ai pas la clé. Syndicalement, on n'a pas forcément la clé.
Est-ce que la crise politique actuelle ne peut pas vous profiter?
On n'en profite pas du tout. Dernier exemple, dans la nuit de mercredi à jeudi (7 et 8 juillet), avec le texte sur le dialogue social dans les TPE. Le patronat a fait un lobbying d'enfer pour obtenir du groupe majoritaire à l'Assemblée de s'opposer au texte du gouvernement... Là, on touche au jeu à droite qui est déjà à l'œuvre dans la perspective de la présidentielle: Jean-François Copé (le patron des députés UMP) a sa propre stratégie politique, et le groupe parlementaire est de plus en plus au service de sa stratégie. Dans cette configuration politique, il devient particulièrement compliqué d'assumer des responsabilités syndicales. En fonction des circonstances, l'interlocuteur déterminant change. Un coup, c'est le président de la République, un coup le président du groupe UMP – ce n'est jamais un ministre, pas même le premier ministre. Alors on peut faire le remaniement qu'on veut, je crains que ça ne change pas grand-chose...
Que reste-t-il du texte sur le dialogue social dans les très petites entreprises?
Il est vide de sens. On va organiser des élections tous les quatre ans pour les salariés des TPE uniquement pour qu'ils s'expriment sur des préférences syndicales sans que ça ait d'impact sur leur quotidien. C'est stupide! Ce vote ne servira à rien, sauf contribuer à définir la représentativité nationale des syndicats. Le groupe UMP a repris in extenso la théorie patronale (la CGMPE et le Medef, car d'autres organisations patronales étaient pour), qui exclut de faciliter la moindre présence dans les TPE. C'est une démarche très antisyndicale. Ce sont pourtant les mêmes députés qui ont voté la loi du 20 août 2008 sur la représentativité... Mais on n'est plus en 2008, la configuration politique est différente.
Une configuration politique assez folle, à vous écouter...
Oui, bien sûr. Et à ce point critique qu'elle génère un sentiment que les élus sont tous pourris. Dans une démocratie, on ne peut pas se satisfaire de la montée de ce genre de sentiment. C'est préoccupant, indépendamment des préférences partisanes qu'on peut avoir. Ce n'est pas sain.
Le climat est-il favorable pour une forte mobilisation début septembre? Car le calendrier n'est pas idéal, été oblige...
Il a été fait pour nous compliquer la tâche. C'est la troisième fois qu'on nous fait le coup d'une réforme en juillet, après les décrets Balladur de 1993, la loi Fillon de 2003... Cette fois, ils ont quand même senti le vent du boulet, et renoncé au plan initial qui était de faire adopter la loi en juillet. Mais l'examen du texte commencera quand même très tôt, le 6 septembre. On a été capables d'une grande action nationale un 24 juin, ça ne s'est jamais vu à cette échelle-là depuis de très nombreuses années. On a créé les conditions pour fixer un RDV à la rentrée, le 7 septembre. Le calendrier est serré. Les premières mobilisations d'ampleur lors d'une rentrée, c'est en général plutôt fin septembre début octobre, jamais plus tôt... Mais je pense que la mobilisation sera d'ampleur, à la grande surprise du gouvernement. -
Du même ordre que le 24 juin?
On verra. Le 7 septembre sera une reprise. Il est important que le point de départ de cette «remobilisation» soit d'un haut niveau, ce qui peut nous permettre d'autres initiatives derrière...
D'autres mobilisations pourraient suivre pendant l'examen du texte au Parlement?
Dans cette situation politique et sociale, il faut se garder de schémas préétablis.
La discussion avec le gouvernement continue sur les retraites...
On a une réunion ce soir (l'entretien a été réalisé jeudi) au ministère du travail sur le dossier des retraites, je ne sais pas ce qui va en sortir. Je ne sais même pas d'ailleurs ce qu'a pu être le temps consacré aux retraites ces huit derniers jours au ministère du travail. Je ne suis pas sûr que cela ait tout à fait mobilisé le ministre, son directeur de cabinet et ses services...
Demandez-vous au président de la République de faire évoluer sa position?
Je suis incapable de vous dire où ils en sont à l'Elysée. Je ne sais pas si eux-mêmes le savent. Mais ce qu'on sait, c'est qu'ils vont devoir bouger. Sitôt la réforme présentée, le président de la République a demandé au ministre du travail de rouvrir les discussions avec les syndicats sur la pénibilité, les carrières longues et les polypensionnés: ils savent donc déjà qu'ils ne tiendront pas sur ces trois questions.
Sur la pénibilité, l'Elysée a choisi de retenir le schéma proposé par le Medef. Ils savaient que nous serions vent debout. Ils sont déjà en train de travailler sur autre chose. Sur quoi, comment, je suis incapable de vous dire, mais ils vont devoir bouger. Le spot télé gouvernemental qui passe en ce moment montre un homme qui dit «J'ai mal au dos, je vais pouvoir partir à 60 ans». Il faudra tout de même qu'il soit invalide à 20%! Si tous ceux qui avaient mal au dos partaient à la retraite, il n'y aurait pas beaucoup de plus de 55 ans au travail...
Sur les carrières longues, le gouvernement profère un mensonge. Après la manifestation, Fillon a dit que tous ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans pourront partir à 60 ans. C'est faux. Le projet dit qu'ils pourront partir “dès” 60 ans. Pour eux comme les autres, il faudra avoir la durée de cotisation exigée plus deux ans, ça veut dire 43,5 ans à terme. Ils vont aussi devoir bouger là-dessus.
Ils ont une obstination: faire passer l'âge légal de 60 à 62, et l'âge à taux plein de 65 à 67. C'est le cœur de leur démarche. Ça me fait penser à des réformes précédentes. Les régimes spéciaux, par exemple. L'essentiel, c'était de pouvoir dire «On a fait une réforme des régimes spéciaux.» C'est vrai, mais le prix à payer n'est pas tout à fait celui escompté. Ou encore: «On a fait une réforme du service minimum.» Mais le texte adopté n'empêche pas qu'il n'y ait plus du tout de bus, de trains de métros s'il y a beaucoup de grévistes. Il va y avoir ce jeu-là, à nouveau. On va communiquer et nous dire: «On a fait une réforme des retraites.» Maintenant laquelle, ça reste complètement ouvert. Le projet va être en partie modifié, ce ne sera pas le même sur des aspects non négligeables, comme la pénibilité.
On vous l'a assuré?
Non. Mais ils retravaillent sur la réforme, c'est clair. Et nous allons nous faire fort de montrer que si on peut les faire bouger sur certains aspects du texte, il n'y a pas de raisons qu'on n'essaie pas de les faire bouger sur l'ensemble.