Déçu par "la dérive du PS et de ses homologues européens vers les politiques et les valeurs néolibérales", Jacques Généreux quitte en 2008 le PS pour participer à la fondation du Parti de gauche avec Jean-Luc Mélenchon. Professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, il est l'un des rares économistes à défendre la retraite à 60 ans. Selon lui, l'allongement de la durée de cotisation vise à terme à développer les régimes de retraites privés.
En 1950, l'espérance de vie des hommes était de 63 ans (69 ans pour les femmes), elle est aujourd'hui de 77 ans (84 ans pour les femmes). Un report de l'âge légal de départ à la retraite n'est-il pas inévitable ?
Il y a trois paramètres sur lesquels on peut agir : le niveau des ressources (c'est-à-dire les cotisations), le niveau des pensions, et enfin la durée effective de cotisation. Si vous partez du postulat – qui est celui de toutes les réformes engagées en Europe depuis une dizaine d'années – qu'il n'est pas possible de toucher aux ressources, alors en effet, avec l'allongement de la durée de la vie, vous ne pouvez à terme que baisser les pensions et/ou allonger la durée de cotisation. Mais ce postulat est faux. On peut augmenter les ressources. Il n'y a d'ailleurs rien d'anormal à ce que la population âgée occupant une part croissante dans la population capte également une part croissante du revenu distribué.
Comment augmenter les ressources ?
Il y a deux leviers : le taux des cotisations et l'assiette. Si on décide d'augmenter le taux de cotisation, on sait ce que ça coûte. Financer le régime actuel en maintenant le niveau des pensions (le taux de remplacement actuel est en moyenne de 72 %) suppose d'augmenter de 9 points le taux de cotisation d'ici à 2050. Cela correspond à une hausse progressive de 0,4 à 0,5 % par an, ce qui est parfaitement supportable pour notre économie.
Un levier encore plus efficace consiste à élargir l'assiette. La masse salariale représente aujourd'hui 60 % de la valeur ajoutée. Les 40 % restants vont aux entreprises pour financer les profits, les investissements, et ne participent pas au régime de protection sociale. Si, au lieu de cotiser sur 60 % de la valeur ajoutée, on cotise sur 100 %, on diminue considérablement le taux de cotisation. Evidemment, le patronat ne veut entendre parler ni d'une hausse du taux de cotisation, ni de l'élargissement de l'assiette, car son souci est de préserver une part constante des profits. Si on regarde sur le long terme, la part des profits dans la valeur ajoutée est stable quelle que soit l'élévation des taux de cotisation. On aboutit donc à cette fausse contrainte : puisqu'on ne peut pas augmenter les ressources, les travailleurs doivent travailler plus longtemps ou accepter des retraites plus faibles.
En 1970, il y avait 2,5 actifs pour 1 retraité. La proportion passera à 1,5 actif par retraité en 2030. Une augmentation des cotisations ne pèsera-t-elle pas nécessairement sur la compétitivité du pays ?
C'est l'argument classique, mais il n'est pas sérieux. La productivité du travail augmente en moyenne de 1,7 à 1,8 % par an. Le nombre d'inactifs à charge pour chaque actif va certes augmenter de 75 % d'ici à 2050, mais le revenu créé par les actifs aura dans le même temps doublé. La charge réelle sera donc en réalité plus faible !
Cela fait quarante ans qu'on augmente les taux de cotisation, au fur et à mesure que la population a vieilli et que les retraites se sont développées. Que je sache, ça ne s'est pas traduit par un effondrement de la compétitivité. L'effort qu'il faut faire d'ici à 2050 est le même que celui que nous avons fait entre 1945 et 1995. Durant cette période, la part des retraites a augmenté de 7 points en part de PIB, il faudrait l'augmenter de 6,5 à 7 points au cours des quarante prochaines années.
La réforme des retraites n'est donc pas, selon vous, un problème technique ?
Il s'agit d'un choix de société. Les réformes qu'on nous propose ont un but évident. Fixer le niveau de cotisation aboutira nécessairement à une baisse des pensions, car l'augmentation de la durée de cotisation n'est que théorique. Ce n'est pas parce qu'on repousse l'âge de la retraite que les gens vont effectivement travailler plus longtemps. Aujourd'hui, les gens partent à la retraite en ayant cotisé en moyenne pendant 37 ans et demi, et c'est encore moins pour les femmes. La moitié des gens qui partent à la retraite ne sont déjà plus au travail !
Allonger la durée de cotisation pour avoir une retraite à taux plein reviendra donc à diminuer les pensions. Et la seule solution sera d'épargner tout au long de sa vie pour des régimes de retraites privés. Le message est le suivant : il y a un filet minimal qui est le social, et pour le reste c'est une affaire de choix individuels. Or c'est bien là le but : créer un nouveau secteur marchand, qui est le développement des assurances sociales privées. Le Medef ne s'en cache d'ailleurs pas, pas plus que le gouvernement.
Le seuil légal de départ à la retraite est généralement de 65 ans en Europe, voire de 67 ans comme en Allemagne... Pourquoi la France ferait-elle exception ?
Si tous ces pays vont dans ce sens, c'est précisément pour les raisons que je viens de citer. Dans tous ces pays, les taux de pension diminuent et ne sont maintenus que par le développement de systèmes de capitalisation privée. Les travailleurs sont aujourd'hui en position de faiblesse face aux détenteurs de capitaux qui menacent en permanence d'aller ailleurs si on ne les satisfait pas. Ce rapport de forces génère des réformes qui se font uniquement à l'avantage des détenteurs de capitaux : elles garantissent leur part dans les profits et le fait qu'ils contribueront de moins en moins à la solidarité nationale.
Propos recueillis par Soren Seelow
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