6 avril 2010

Les vraies raisons du désastre sarkozyste

Pour Roland Hureaux, les réformes du gouvernement sont souvent mal comprises car trop brouillones. La faute à une administration et des institutions trop bien rangées.

Grand débat – et déballage, à droite : le président a-t-il compris la « leçon » des régionales ?

Si la politique suivie par le gouvernement depuis 2007 n’était impopulaire, comme ont l’air de le penser les ténors de la majorité, que par le bouclier fiscal ou l’affaire Jean Sarkozy, la trajectoire serait facile à corriger - même si le président répugne à revenir sur ses cadeaux fiscaux, garantie d’un « socle » minimum de partisans parmi les grands prescripteurs.

Mais les réformes emblématiques ne sont pas les seules qui posent problème. C’est l’ensemble des politiques menées dans à peu près tous les domaines depuis trois ans qui, dès que l’on connait tant soit peu le sujet, apparaissent, au mieux brouillonnes et contre-productives, au pire destructrices. Sécurité publique, réforme judiciaire, fonction publique, santé publique, éducation nationale, Pole emploi, administration territoriale etc. : partout le plus grand désordre a été mis sans bénéfice substantiel.

C’est à tort cependant qu’une certaine gauche voit dans ce programme l’application d’un plan machiavélique et réfléchi, qualifié d’ultralibéral, au service du capitalisme mondialisé. Les mêmes sans doute seront prêts à gober, le jour venu, une politique analogue, pour peu qu’elle soit menée par un gouvernement socialiste.

Les ravages du conformisme

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Non, le grand coupable du «foirage» général des réformes qui, pour la plupart, suscitent la frustration des Français , c’est le conformisme par rapport à l’air du temps et la « techno-dépendance » par rapport à une haute administration elle-même imprégnée de l’idéologie ambiante. On a beau raconter qu’il n’y a jamais eu moins d’énarques au gouvernement, la strate politique n’a jamais eu moins de recul face aux propositions des services des ministères.

C’est pourquoi, on a également tort d’imputer les vices de la politique réformatrice au seul président actuel. Car lesdits services ne font rien d’autre que de lui proposer d’aller plus loin, dans à peu près tous les domaines, dans le sens où ils vont depuis vingt ou trente ans ! La machine à faire des lois absurdes était depuis longtemps en marche : elle s’est seulement emballée.

Dans quel sens vont ces lois ? A peu près toujours le même depuis vingt ou vingt-cinq ans. L’application de schémas simplistes tirés du secteur privé : par exemple les grandes fusions ANPE-ASSEDIC, Impôts-Trésor, communes, région-département etc. La mise en œuvre de principes, inscrits dans des rapports publics fondateurs, anciens ou récents (rapport Picq, rapport Pébereau, rapport Attali, etc.) dont le principe général est la « modernisation », entendue presque exclusivement comme l’imitation servile des modèles anglo-saxons, devenus européens du fait de l’influence prépondérante que ces derniers exercent à Bruxelles. Il n’y a dans les pays anglo-saxons ni 36 000 communes, ni gendarmerie, ni juge d’instruction, ni séparation des ordonnateurs et des comptables, ni statut de la fonction publique, ni grandes écoles, ni brevet des collèges. Haro donc sur ces vieilles institutions françaises ! Il faut « moderniser » notre vieux pays, dit-on d’un ton sentencieux, au Medef, sur BFM, à l’Inspection des finances, dans les think tanks libéraux (où on pense si peu !) et, partant, au sommet de l’Etat. Il faut abolir ce qui reste d’un état « jacobin » dépassé (la belle fumisterie que ce mythe de l’Etat jacobin, qui fut en réalité napoléonien et imité dans toute l’Europe pendant 150 ans !).

Ceux qui croient qu’il s’agit là d’une idéologie « libérale » cohérente se trompent : qu’a à faire le grand capital international de la suppression des petites communes ? Non, il s’agit du plus stupide des mimétismes s’imposant dans un univers où l’on a cessé depuis longtemps de réfléchir par soi-même et qui témoigne seulement de l’inféodation mentale de nos élites à des modèles étrangers ( ou ce que l’on croit qu’ils sont !) ou de la propension bien française aux schémas a priori. Ce mimétisme peut même venir à l’appui d’autres courants d’idées pour peu qu’ils paraissent dans le vent, par exemple , en début de mandat, l’écologie : y eut il - t- il d’autre motivation à la taxe –carbone, socialement si contestable ?
Que le pouvoir actuel ne soit pas prêt à remettre en cause ce conformisme administratif et politique, probablement parce que, en haut lieu, on n’est pas vraiment conscient de ses ravages, nous en voyons le signe dans deux nominations récentes.

Des nominations emblématiques
D’abord, celle du nouveau premier président de la Cour des Comptes. On y a vu de l’originalité du fait qu’il venait du parti socialiste. Quelle illusion ! Didier Migaud est un des pères de la loi organique sur les lois des finances (dite LOLF pour les initiés) votée par Jospin en 2000 – à l’unanimité ! - et appliquée sous le président actuel (c’est dire l’illusion des gens de gauche qui mettent en cause là l’ultralibéralisme !) On n’entrera pas dans le détail de cette machine ; nous l’avons fait par ailleurs (1). Sachons cependant qu’en généralisant les « indicateurs de performance », elle a réussi à démobiliser de haut en bas une fonction publique qui avait été longtemps une des plus consciencieuse qui soit. Sans compter les effets pervers d’indicateurs aussi simplistes que le nombre de reconduites à la frontière ou celui des gardes à vue. Philippe Séguin qui, malgré sa prudence, était un vrai grand esprit, ne se privait pas de critiquer en privé ce dispositif en forme d’ «usine à gaz». Son successeur, lui, n’est qu’un bon élève. Enthousiaste, il préside même une « association des amis de la LOLF » ! Didier Migaud, issu de la fonction publique locale , n’a pas fait l’ENA mais il s’inscrit bien dans cette lignée de technocrates qui, pour être autodidactes, n’en furent que plus redoutables, de Jean Monnet à Jacques Delors.

La seconde nomination est l’entrée au gouvernement de Georges Tronc. On savait qu’il était un proche de Villepin. On sait moins qu’il fut pendant plusieurs années, à la tête de la commission de l’immobilier de l’Etat, chargé d’appliquer la politique la plus absurde qui soit : la vente des immeubles des ministères situés au centre de Paris, soit pour déménager ces services en banlieue, soit pour les installer dans des immeubles de location, tout cela ayant pour objectif, selon le jargon technocratique à la mode, de « réduire le coût de la fonction immobilière de l’Etat ». La réalité : au prix de bénéfices qui, au regard des déficits courants, demeurent négligeables, complique la vie des services en les dispersant , et surtout, on abaisse le prestige de l’état « régalien », sommé de décamper des lieux prestigieux de la capitale pour les laisser aux grands investisseurs. C’est ainsi qu’ont été vendus le centre de conférences international de l’avenue Kléber, la DATAR et l’hôtel du ministère de la coopération de la rue Monsieur ou que va l’être le ministère de la défense. Il est même arrivé que l’Etat ait dû racheter deux fois plus cher pour d’autres usages des biens ainsi vendus !

Que ces réformes parties de principes artificiels ou de la transposition servile de modèles étrangers, dont tous ceux qui connaissent le terrain sachent les inconvénients, suscitent des résistances, prouve que le bon sens existe encore. On ne sera pas dès lors étonné de la nervosité de ceux qui les promeuvent, dont témoigne entre autre la révocation de cet officier de gendarmerie qui contestait, au nom des traditions de son arme, son rapprochement avec la police. Mais bien d’autres corps administratifs sont également excédés.

Des méfaits du conformisme dans la haute administration témoigne encore la difficulté grandissante qu’a le gouvernement à pourvoir un certain nombre de postes de la haute fonction publique, pas seulement celui de premier président de la Cour des comptes. Le conformisme appelle la servilité, la servilité l’incompétence et l’incompétence, la raréfaction des candidats crédibles aux grands emplois.

C’est à un examen de conscience d’une bien plus grande ampleur que ce que croient les députés de la majorité que le gouvernement devra procéder s’il veut échapper au désastre annoncé

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