Le paradoxe ne vient pas du fait qu'une jeune femme de 22 ans ne voit aucune contradiction entre la décision de se voiler pour Dieu et celle de militer dans un parti d'inspiration trotskiste luttant contre le sexisme. Le Front national a bien des militants noirs ou d'origine arabe. La nature humaine est ainsi faite : des affinités contradictoires peuvent aisément cohabiter au sein d'un même individu. Sans doute faut-il s'en réjouir. Mais que penser de la cohérence des convictions politiques d'Olivier Besancenot ? Antisexiste et ferme face à l'intégrisme chrétien anti-IVG, mais ému par la réaction religieuse lorsqu'elle porte un voile.
A l'en croire, il ne faudrait y voir qu'un "signe privé", comparable à l'engagement chrétien de l'abbé Pierre. Sauf que le voile n'est pas l'emblème des musulmans progressistes, mais l'équivalent de la messe en latin chez les catholiques... Le drapeau des musulmans traditionalistes et réactionnaires. C'est donc le camp de la réaction que Besancenot choisit de soutenir en présentant une candidate qui le porte. Non sans y voir la preuve que le NPA "s'intègre" dans les quartiers.
Le voile serait-il devenu l'emblème des quartiers populaires ? Les féministes de culture musulmane, qui souhaitent lui résister, ont-elles encore leur place au sein du NPA ? La question se pose en voyant la candidate et son parti leur faire la leçon. Qu'elles se le disent... "On peut être féministe, laïque et voilée !"
La chanson n'est pas nouvelle. Des prédicateurs islamistes bien connus ont écrit les paroles : il existerait un "féminisme islamique", qui, contrairement aux soixante-huitardes débridées du "féminisme occidental", souhaite préserver le corps et la pudeur des femmes. Officiellement, ce féminisme-là n'est pas soumis... Sauf à Dieu et à son ordre patriarcal. Certes, ce féminisme religieux n'est pas incompatible avec le fait de militer contre le capitalisme. En revanche, il l'est avec le féminisme progressiste et laïque, à qui il fait la guerre. Tant pis. L'émancipation sexuelle attendra. Olivier Besancenot a fait ses calculs et il a choisi... de céder à l'adage : "Les ennemis de mes ennemis sont mes amis."
Vieille rengaine
Le NPA n'irait pas jusqu'à déménager son siège à Monaco sous prétexte que Nicolas Sarkozy critique les paradis fiscaux. Mais le "sexisme", c'est autre chose. Plus secondaire. Nicolas Sarkozy critique le voile ? Présentons une femme en voile ! "Léger", nous dit le communiqué. Pourquoi faire dans la demi-mesure ? Une candidate en burqa, voilà qui aurait permis un contre-positionnement "révolutionnaire" !
Même "léger", ce choix marque un tournant. Longtemps, le NPA s'est contenté de délibérément ignorer tout débat sur l'intégrisme et la laïcité pour se concentrer sur ce qu'il appelle les "vrais problèmes" : la lutte des classes. Là aussi, vieille rengaine. Certains marxistes ont toujours un Grand Soir, plus important à faire. En son temps, le combat du MLF a, lui aussi, été jugé "petit-bourgeois" et "secondaire". En 1976, une militante féministe, qui venait de dénoncer le viol commis par un "camarade" immigré, a connu un véritable procès de Moscou. Ses "camarades" gauchistes l'accusaient de stigmatiser les classes populaires. Le réflexe perdure. Olivier Besancenot s'est tu lors de l'affaire des caricatures. Il ne dit jamais mot contre l'intégrisme qui sévit dans les quartiers populaires. A l'entendre, ces débats ne servent qu'à encourager "l'islamophobie".
Toute la gauche de la gauche n'est pas prête à jouer ainsi les "idiots utiles" de l'islamisme. A Lutte ouvrière, au Front de gauche, et même au NPA, dans toutes ces formations, il existe des militants qui refusent de trahir l'esprit de Mai 68 et le MLF sous prétexte d'aller chasser de l'électeur en terres populaires. A eux de se faire entendre. Avant que l'"avant-garde éclairée" ne devienne définitivement une arrière-garde obscurantiste.
Caroline Fourest
Chronique, LE MONDE le 05.02.2010
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