« Talibans modérés ». Quel bel exemple d’oxymore ! En mettant côte à côte deux mots opposés, cette figure de style aboutit à une image contradictoire comme pourraient l’être « carnassiers végétariens » ou « misogynes féministes ». Fallait-il que les chefs d’Etat réunis le 28 janvier dernier à Londres pour parler de l’Afghanistan aient bien peu de chose à proposer pour que l’idée de la réconciliation avec les « talibans modérés » réapparaisse. Avec un budget de 358 millions d’euros, le plan serait de proposer aux talibans de bonne volonté de quitter les rangs contre de l’argent et du travail. C’est oublier un peu vite que le retournement de veste des chefs de guerre étant, depuis des lustres, un sport national, on peut s’attendre à ce que la « réintégration » s’arrête net quand l’autre camp proposera mieux. Mais, surtout, c’est négliger ce qui n’est même pas un risque mais une certitude : les femmes seront les premières victimes de cette pseudo-réconciliation.
Il y a quelques jours, des représentants de la société civile se sont réunis à Kaboul pour exprimer leurs inquiétudes. Parmi eux, de nombreuses femmes que Shoukria Haidar, présidente de Negar-Soutien aux femmes d’Afghanistan, est venue faire entendre à Paris, à l’Assemblée nationale. Le rapport de Human Rights Watch paru en décembre dernier est accablant. Malgré des avancées, la majorité des filles ne va toujours pas à l’école primaire et seulement 4 % d’entre elles accèdent au lycée. Plus d’une femme sur deux est victime de violence. Sans parler des mariages forcés, des emprisonnements pour « crimes contre la morale » et de l’impunité des auteurs de viols et de meurtres de femmes. Avec l’avancée des talibans, la situation ne cesse de se détériorer puisqu’on ne compte plus le nombre d’écoles brûlées et de femmes menacées, voire assassinées. Il faut savoir que, sitôt que les intégristes (= talibans même « modérés ») seront absorbés par la population, c’est pernicieusement qu’ils influenceront les décisions politiques.
Malalaï Joya*, la plus jeune députée afghane, exclue du Parlement après avoir comparé ses confrères à des dragons et l’institution à une étable mal tenue, rappelle qu’en 1992, quand les moudjahidin sont entrés dans Kaboul, leur priorité a été d’exiger que les femmes se voilent à la télévision alors que la guerre civile faisait rage. Ne pas oublier non plus que, sous la pression des chiites et contre la promesse de leurs voix à la présidentielle, le président Karzai a signé l’an dernier une loi pour les femmes chiites qui leur interdisait, entre autres, de refuser une relation sexuelle avec leur époux et de sortir sans sa permission. Seul le tollé international l’a fait reculer, mais partiellement puisque l’interdiction de sortir sans le consentement du mari a été maintenue. Le sort des Afghanes n’aura pas beaucoup de poids quand se négocieront des changements de Constitution ou des alliances. Il fallait vraiment avoir envie, sans oser le dire, de se retirer de l’Afghanistan pour approuver un projet pareil.
* Auteure d’« Au nom de mon peuple » (Presses de la Cité).
Par Marie-Françoise Colombani
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