La première est secrétaire d'Etat dans le gouvernement de François Fillon, la deuxième mène, depuis quinze ans, des recherches sur le travail et les inégalités hommes-femmes, la troisième a fondé, en 1997, une association "féministe, mixte, antisexiste et universaliste". Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Méda et Clémentine Autain ont, toutes trois, lu l'essai controversé d'Elisabeth Badinter dénonçant le retour du naturalisme et ses méfaits sur l'égalité des sexes (Le Conflit. La femme et la mère, Flammarion, 270 p., 18 euros). Et toutes trois en sortent avec une impression mitigée : si elles partagent ses inquiétudes au sujet de la régression de l'égalité, elles comprennent mal ses diatribes contre les écologistes et ses critiques à l'égard des discours sur le bien-être de l'enfant.
Dans son livre, Elisabeth Badinter estime que, depuis les années 1980, une offensive naturaliste tente de replacer la maternité au coeur du destin des femmes. Eloge des vertus de l'allaitement, redécouverte du "vieux concept d'instinct maternel", apologie de la présence irremplaçable des mères auprès des jeunes enfants : la philosophe estime que ces discours constituent un véritable danger pour l'émancipation des femmes... tout en reconnaissant qu'ils ont peu d'influence sur le comportement des Françaises. "Jusqu'à quand sauront-elles imposer leurs désirs et leur volonté contre le discours rampant de la culpabilité ?", conclut-elle.
Clémentine Autain
"On peut être féministe et allaiter"
"On peut être féministe et allaiter"
Directrice du mensuel Regards, Clémentine Autain a fondé, en 1997, le mouvement féministe Mix-Cité. Adjointe à la jeunesse du maire de Paris, de 2001 à 2008, cette militante du non à Maastricht s'était présentée à la candidature de la gauche antilibérale pour l'élection présidentielle de 2007.
"J'ai un point d'accord très fort avec Elisabeth Badinter : je suis hostile aux thèses essentialistes qui considèrent que les femmes ont, par nature, des qualités particulières. Ces considérations ont contribué, pendant des siècles, à enfermer les femmes dans leur rôle traditionnel, cantonné à la sphère privée. J'ai l'impression, comme elle, que cette idéologie revient en force : dans un monde bouleversé par la révolution féministe du XXe siècle, c'est parfois réconfortant de se couler dans les schémas anciens...
En revanche, on a l'impression, en lisant le livre, que la maternité est forcément synonyme d'aliénation et de privation de liberté, ce qui emprisonne les femmes dans une alternative impossible : le retour au foyer ou la grève des ventres. Mieux vaut, me semble-t-il, tenter d'imaginer une société plus égalitaire où hommes et femmes partageraient les contraintes mais aussi les plaisirs de la parentalité.
C'est l'angle mort du livre et, pourtant, il y a du travail ! Les pères ne peuvent pas rester dormir dans les maternités, le congé paternité est trop court - onze jours - et certains pères ne le prennent même pas. Pour le congé parental, qui peut durer jusqu'à trois ans, c'est pire : 96 % des bénéficiaires sont des femmes...
Il faudrait construire un véritable service public de la petite enfance - seul un enfant sur dix est accueilli en crèche ! -, combattre les stéréotypes et encourager un partage des tâches parentales. Si elle repose sur un libre choix, la maternité peut être un véritable épanouissement. On peut, par exemple, être féministe et allaiter ! Le seul pari pertinent et durable, c'est la recherche conjointe de la liberté des mères - et plus généralement des parents - et du bien-être de l'enfant."
Dominique Méda
"La maternité continue indiscutablement à peser sur l'emploi des femmes"
Directrice de recherches au Centre d'études de l'emploi, Dominique Méda est l'auteure du Temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles (Flammarion, "Champs", 2002, réédité en 2008) et, avec
"Je partage l'idée que, depuis une dizaine d'années, l'on assiste à une offensive qui défend la répartition traditionnelle des rôles féminin-masculin. Ces discours, qui émanent souvent de pédopsychiatres, de psychologues ou tout simplement d'auteurs masculins, sont sans doute une façon de résister aux avancées du féminisme, qui ont été réelles jusqu'à la fin des années 1980. Ils redoutent la fin de l'autorité, la confusion des rôles père-mère et l'indifférenciation hommes-femmes. Ces discours très normés sur le rôle des mères ont contribué à peser sur le travail des femmes et à culpabiliser les mères.
Car la maternité continue indiscutablement à peser sur l'emploi des femmes : lorsqu'ils sont seuls et sans enfants, les hommes et les femmes ont les mêmes taux d'emploi, alors qu'il y a plus de 20 % d'écart lorsqu'ils deviennent parents ! Qu'elles le veuillent ou non, l'arrivée d'un enfant handicape donc lourdement les femmes sur le marché du travail, et elles seules.
En raison des politiques publiques menées notamment au milieu des années 1990 en réponse à la crise et à la montée du chômage - incitation au temps partiel, extension, aux parents d'un deuxième enfant, d'un congé parental long et mal rémunéré, insuffisance de crèches -, ces contraintes ont plus pesé sur les femmes des milieux populaires que sur les autres. Les femmes diplômées peuvent, en effet, faire garder leurs enfants et avoir presque les mêmes chances que les hommes en matière professionnelle.
En revanche, les femmes fragilisées des milieux modestes optent souvent pour un congé parental : le faible montant de l'allocation peut concurrencer les bas salaires des smicardes ou le travail à temps partiel mal rémunéré, surtout dans des conditions de travail difficiles avec de plus en plus d'horaires atypiques. Après une absence de trois ans, ces femmes peu diplômées ont énormément de mal à revenir sur le marché du travail.
Le modèle d'un couple entièrement voué au travail et déléguant entièrement les tâches de soins à l'extérieur n'est cependant pas non plus un idéal. Il serait sans doute bénéfique de réfléchir à une organisation des temps de vie qui laisse à tous - aux hommes comme aux femmes - la possibilité de s'occuper de leurs enfants. Il faudrait donc repenser l'articulation famille-emploi, afin que le temps familial cesse de peser uniquement sur l'emploi des mères, et de répartir différemment la prise en charge de l'enfant entre les pères, les mères et des modes de garde de qualité. Les femmes assument aujourd'hui 80 % des tâches parentales et domestiques, un déséquilibre qui n'a quasiment pas bougé depuis vingt ans..."
Nathalie Kosciusko-Morizet
"Elisabeth Badinter se trompe de combat"
Avant de devenir secrétaire d'Etat à l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet était secrétaire d'Etat à l'écologie auprès de Jean-Louis Borloo. C'est à ce titre qu'Elisabeth Badinter lui reproche, dans son livre, d'avoir encouragé les parents à utiliser des couches "lavables", qui participent, selon elle, à l'aliénation des femmes.
"En accusant l'écologie de nourrir un courant naturaliste qui entrave la liberté des femmes, Elisabeth Badinter se trompe de combat. L'écologie naturaliste est un travers américain qui n'existe pas en France : ici, l'écologie s'est construite autour d'un questionnement sur le système de production et de consommation de nos sociétés industrielles. Il n'est pas question de revenir à des modes de vie anciens mais d'envisager l'avenir en intégrant l'idée du développement durable. Le vrai problème, ce n'est pas de combattre les pratiques écologiques, mais de les rendre accessibles à tous, qu'il s'agisse de la nourriture biologique ou de la lutte contre les polluants chimiques.
Cette polémique sur les couches lavables est dérisoire. Ces produits n'ont plus rien à voir avec ceux qu'utilisaient nos grands-mères et j'invite ceux qui s'y intéressent à se renseigner précisément sur le sujet, ce que n'a vraisemblablement pas fait Elisabeth Badinter. Chacun doit simplement se sentir libre de faire des choix personnels en fonction de ses besoins et de ses désirs, sans risquer pour autant d'être soupçonné d'aliénation !
J'ai peur qu'Elisabeth Badinter passe à côté des vraies difficultés des femmes. Le problème, ce n'est pas l'allaitement, c'est la discrimination professionnelle, les inégalités de salaire et le plafond de verre qui les empêche, encore aujourd'hui, d'accéder aux responsabilités. La maternité est parfois instrumentalisée pour freiner leur carrière, c'est évident, mais ce n'est pas la seule explication : chez les diplômés, l'utilisation, par les hommes, des réseaux et de la cooptation en est une autre. L'enjeu, c'est de libérer les femmes, pas de les enfermer dans de fausses alternatives sur l'allaitement ou le retour au foyer."
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