2 juin 2010

LES PROPOSITIONS DE SEGOLENE ROYAL SUR LA RENOVATION DU PARTI SOCIALISTE

Untitled document
Mobiliser la confiance des Français en leur donnant une espérance
Depuis la fin des 30 glorieuses, la participation électorale n’a cessé de s’éroder. Après un renouveau notable à l’élection présidentielle de 2007, elle est retombée à un niveau historiquement bas lors des dernières élections européennes et régionales.
Je ne crois ni à un phénomène passager, ni à un manque de civisme. Cette non-participation est assumée par beaucoup de Français comme un geste politique, un message de défiance à l’égard de l’ensemble de la classe politique. Les milieux qualifiés de « classe dirigeante » sont considérés par une masse de Français comme une sorte de caste principalement préoccupée par sa propre reproduction, mêlant dans une certaine complicité hommes politiques, magnats de la finance et stars de l’audiovisuel. Huit années d'exercice du pouvoir par la droite, particulièrement les trois dernières années, n'ont fait qu'amplifier ce phénomène.
Chaque évènement d’actualité apporte de l’eau au moulin de la défiance à l’égard du pouvoir en place : les hyper profits et les primes scandaleusement excessives, le bouclier fiscal qui protège les plus riches, la crise financière qui débouche sur une crise économique ravageuse pour les travailleurs tout en enrichissant les spéculateurs, et en même temps le démantèlement des services publics et le recul du droit à la retraite opérés au nom de la rigueur financière !
En dépit des efforts réalisés pendant les périodes où la gauche a gouverné, nous peinons à convaincre de notre capacité à changer le cours des choses. Le peuple prend ses distances, il se tait mais n’en pense pas moins. Il se tourne vers d’autres formes de citoyenneté ou se résigne, faute de mieux et en attendant mieux.
Cette espérance, c'est au parti socialiste de la porter.

Prendre appui sur l'énergie et sur la volonté de changement des Français

Si nos institutions politiques n’ont pas beaucoup changé depuis 50 ans, la société, elle, s’est profondément transformée. L’engagement militant au long cours de nos aînés a fait place, chez les plus jeunes, à d’autres formes d’engagements, moins globalisantes et plus ponctuelles. Ils privilégient plutôt une cause (environnementale, sociale, ou encore humanitaire) qui les touche à un moment donné. Ils sont capable de se mobiliser massivement pour une élection lorsqu’ils y voient un espoir (comme lors de la Présidentielle de 2007) et de s’abstenir tout aussi massivement aux scrutins suivants.
Les réseaux sociaux, fonctionnant dans l’immédiateté de l’accès à l’information sur les smart-phones, deviennent des vecteurs forts. Ils recouvrent aussi des réseaux réels très actifs. Chaque phénomène social suscite dans la société une réaction collective : contre la nouvelle pauvreté et le chômage des masse, les centaines de milliers de bénévoles des associations de solidarité, d’insertion et de promotion des droits de l’homme ; contre les atteintes à l’environnement, des associations de défense qui naissent un peu partout ; face à la disparition des services publics, dans le monde rural et dans les quartiers populaires, des réponses nouvelles souvent portées par les élus locaux, les acteurs culturels, les mouvements d’éducation populaire ; etc.
Pourquoi faudrait-il désespérer de notre société, entonner le refrain de l’indécrottable conservatisme du peuple, du « c’était mieux avant ! », alors que nous voyons sous nos yeux, bien au contraire, toutes ses ressources, toutes ses capacités de réaction et d’action qui se mettent à l’œuvre ?
Un renouveau est nécessaire, il nous faut proposer un nouveau contrat social, librement accepté par des individus très largement informés, sans s’enfermer dans la nostalgie d’un Etat-providence qui fonctionne mal. Désormais la démocratie ne saurait vivre sans être participative.

Inventer une nouvelle ère de la démocratie, notamment avec la démocratie participative

Dès lors, que faire pour stopper la dérive actuelle, combler le fossé qui s’élargit entre le peuple et les élites économiques et politiques ? Pour ma part, je mise sur deux révolutions institutionnelles : une véritable décentralisation et la mise en œuvre effective de la démocratie participative.
Une France active, entreprenante et solidaire ne peut pas exister sans la confiance de citoyens acteurs et mobilisés. Une démocratie confisquée ne peut produire que scepticisme et rejet. Les forces de l’innovation et de la créativité ne seront pleinement mises en œuvre que si chacun peut, à son niveau et à son rythme, avec ses connaissances et son expertise propres, contribuer à la formation de la décision collective.
C’est dans le cadre de cette conception de la citoyenneté active qu’il faut situer le rôle des élus. Rôle tellement précieux et indispensable à la mise en œuvre des choix collectifs. Des élus puisant leur légitimité non seulement dans le suffrage mais aussi dans la capacité à organiser dans la durée la participation de tous. Parce qu’à l’époque où, comme nous le dit Paul Virilio, « les longues durées perdant leur intérêt au profit de l'instantanéité et de l'immédiateté, l'événement ressenti instantanément devient proéminent », il n’est plus imaginable de ne consulter les citoyens qu’un fois tous les cinq ou six ans à l’occasion des élections.
Cette révolution démocratique doit se prémunir de créer de nouvelles fractures. Elle doit donner à chacun des citoyens la même capacité d’expression, qu’il ait ou non accès à des formes de communication numériques plus ou moins sophistiquées.
Les pratiques locales de démocratie participative existent. Après avoir suscité scepticisme, ironie et critiques, elles fonctionnent sans heurts et avec l'adhésion des citoyens. En Poitou-Charentes, depuis, 2005, forums participatifs, budget participatif des lycées et jurys citoyens donnent la parole aux habitants, leurs permettent de participer à l'élaboration des décisions qui les concernent, d'évaluer et de donner leur avis sur les politiques déjà mises en oeuvre.
Ce nouveau fonctionnement démocratique ne sera pas sans conséquences sur les partis politiques. Ceux-ci sont bien souvent considérés comme étant seulement des antichambres du pouvoir. En devenant des lieux d’éducation populaire, en s'ouvrant très largement à la société, en permettant à leurs membres de mieux vivre la participation démocratique, ils trouveront une assise démocratique plus large.

Faire du parti socialiste une force efficace pour battre la droite et sortir la France de la crise

Nous devons faire du Parti socialiste le grand parti démocratique, populaire, du mouvement et de la mobilisation sociale dont la France a besoin.
Le Parti socialiste doit être fidèle à ses valeurs. C’est pour lui le meilleur chemin pour s’adapter. Fidèle à ses idéaux de construction, il doit savoir assumer les tâches d’un parti de gouvernement et être l’agent actif des mobilisations sociales face à la droite. 
Il est la force indispensable, irremplaçable. Il ne doit pas être seulement l’instrument du pouvoir, mais un outil permanent de la démocratie y compris et surtout lorsque l’on est au pouvoir. Il doit être un laboratoire social, un lieu de confrontations et de convergences des idées, ouvert aux autres, à la société, à ses alliés.
Cette révolution démocratique, le Parti Socialiste doit commencer par se l’appliquer à lui-même en améliorant la démocratie militante, en fonctionnant de manière ascendante plutôt que descendante, ce qui passe par le développement de la démocratie participative pour associer en permanence les militants et les sympathisants. Elle confirmera le socialisme et la démocratie dans leur rôle historique d’émancipation, en restituant à chacun une part de pouvoir politique supplémentaire.

Instaurer le mandat parlementaire unique pour favoriser l'accession des femmes à la tête des exécutifs locaux
Pour faire en sorte que chaque citoyen ait la possibilité de devenir élu, le parti socialiste doit tenir bon sur sa volonté de restreindre les règles de cumul et de durée, conformément au vote des militants. Le Parti Socialiste doit montrer l’exemple en décidant d’interdire le cumul d’un exécutif local et d’un mandat parlementaire, y compris celui de sénateur et ce, dès les prochaines élections. L’application de cette règle permettra à des femmes d’accéder à la tête de régions, de départements et de villes. Le parti socialiste doit également limiter dans le temps les mandats.
Concernant la parité et le renouvellement, ainsi que la diversité de notre représentation politique, les propositions du rapport d’Arnaud Montebourg vont dans le bon sens. La force du parti socialiste tient à sa capacité à s’ouvrir en permanence sur l’extérieur. Il doit être le lieu où les hommes et les femmes, les jeunes et les anciens, les Français de toutes les origines, de tous les talents et de tous les métiers, de toutes les singularités et de toutes les générosités se retrouvent. Il doit être un véritable reflet de la société française.

Des règles éthiques indispensables
Comment un parti politique peut-il être crédible pour la conduite de la nation s’il n’est pas lui-même exempt de tout soupçon dans les scrutins qu’il organise ? Quelle peut être sa crédibilité s’il n’est pas meilleur dans son fonctionnement que la société qu’il prétend réformer ?
L’histoire récente du Parti Socialiste montre la nécessité de se doter de règles éthiques telles que proposées dans le rapport d’Arnaud Montebourg.

Des primaires ouvertes et transparentes :un tournant historique pour rénover le parti socialiste et déclencher un mouvement populaire

Depuis toujours, j'ai défendu cette idée et je me réjouis que le rapport d'Arnaud Montebourg lui donne toute son ampleur.
C'est en effet une chance que les socialistes doivent saisir. La réussite des primaires sera un des éléments clef de la preuve de la rénovation de notre parti. Un élan populaire lors des primaires donnera un élan à notre candidat(e). En 2006, le vote interne au PS avait attiré à nous environ 200.000 personnes, portant le collège électoral à plus de 300.000. Il faut aller encore plus loin. Associer deux millions au moins de nos concitoyens à la désignation de notre candidat est un objectif tout à fait atteignable.
Et pour que le scrutin soit parfaitement légitime, les garanties de la transparence et de la légitimité du vote doivent être renforcées. L'élection doit être organisée dans les mêmes conditions qu'un scrutin républicain. Pour éviter toute contestation au niveau du recollement des votes au niveau départemental puis national, il est impératif de prévoir dans chaque bureau de vote la publication sur internet des résultats du scrutin immédiatement après le dépouillement et la proclamation. Les résultats devront être transmis de façon concomitante aux échelons départementaux et nationaux. Cela permettra d'éviter toute discordance entre le résultat du bureau, validé par le président, ses assesseurs et les scrutateurs, et les résultats recollés au niveau départemental puis national.



Ségolène Royal soutient le très bon travail accompli par Arnaud Montebourg pour organiser les primaires. Elle a envoyé à Martine Aubry, à sa demande, des propositions par écrit en insistant sur deux points :
1 – Moderniser la transparence du vote des primaires en communiquant en temps réel les résultats sur internet, bureau par bureau, ce qui permet aux électeurs de suivre en direct les résultats.
2 – Appliquer le non-cumul des mandats dès les élections sénatoriales, comme le souhaite Martine Aubry, Arnaud Montebourg et les militants, afin de permettre l’émergence des femmes à la tête des départements, des régions et des grandes villes.
Elle redit sa volonté de soutenir un dispositif gagnant collectif permettant de sortir la France de la crise en mettant fin à la politique inefficace et injuste d’une droite dure qui fait souffrir des millions de Français.

30 mai 2010

Le mirage de l'électricité " 100 % verte "

Après avoir consommé beaucoup de produits pétroliers (essence , diesel, fioul domestique) et gaziers (grande campagne d’EDF pour le chauffage au gaz), la France fait sa « révolution verte » avec l’électricité. L’accroissement de la part de l’électricité est en effet au cœur des 273 propositions du Grenelle de l’environnement, et de manière plus large de notre société : voiture électrique, promotion du tramway (électrique) et du métro (rocade du grand Paris), plan fret et autoroutes ferroviaires massif (les trains autres qu’électriques ont disparu depuis quelques années), pénalisation de l’aérien (kérosène) et du transport routier (diesel, …), apparitions de nouveaux produits électroniques ou électroménagers électriques (ordinateurs, iPhone et portables, iPod et lecteurs MP3, iPad, machine à pain, …).
 
Et personne ne se pose LA question : est-ce que cette montée en puissance du « tout-électrique » est bien écologique ?
 
Certes, cela permettra de réduire certainement la consommation de produits pétroliers et de gaz, presque entièrement importés, ce qui n’est pas négligeable pour la dépendance énergétique de la France : en 2008, année des 273 propositions du Grenelle de l’environnement, en solde net, 50,2% de l’énergie consommée était importée (produits pétroliers et gaziers) :
 
-137 Mtep de production d’énergie en France (surtout de l’électricité),
-172 Mtep d’importations d’énergie (surtout des produits pétroliers et gaziers),
-34 Mtep d’exportation (électricité et produits rafinés).
 
Mais les 49,8% produits en France provenaient déjà surtout de l’électricité. Que se passera-t-il quand la part de l’électricité augmentera ? Les exportations, constituées en partie d’électricité, baisseront mécaniquement.
 
Mais au-delà, à partir de quoi est produite l’électricité ? Aux trois-quarts à partir de nos centrales nucléaires (deuxième parc au monde après les Etats-Unis) : 76,5% en 2008, 75,2% en 2009. Ainsi, le nucléaire représente 33,7% de l’énergie consommée en France en 2008.
 
nuclearhands

Puis vient l’hydro-électrique, les barrages : 11,9% en 2009. La production hydro-électrique est désormais à peu près fixe en valeur absolue en France, notre pays ne construit pratiquement plus de barrage en France métropolitaine depuis les années 80. Si l’énergie produite est une énergie renouvelable, certains impacts environnementaux sont reprochés aux barrages : remodelage en profondeur du paysage, « coupé » par le barrage, barrage aux routes migratoires des poissons, invasions biologiques facilitées, …
 
Le reste de la production électrique est assuré par les usines thermiques (gaz, charbon, tous deux importés) pour 11% en 2009 et par les autres énergies renouvelables, presque uniquement l’éolien, pour 1,5%.
 
800px-Electricity_production_in_France.svg.png
Graphique Wikipédia (SuperManu)

Aujourd’hui, les énergies renouvelables se résument principalement à l’hydroélectricité des barrages, production fixe en valeur absolue. Pour atteindre l’objectif de doublement de la part des énergies renouvelables fixé par le gouvernement suite au Grenelle de l’environnement pour l’horizon 2020, il va falloir faire « décoller » très rapidement les autres énergies renouvelables : l’éolien, qui suscite déjà des réactions de la part de la population alors que sa part est très faible (bruit, défiguration des paysages), le solaire qui balbutie encore, la biomasse et la géothermie, …
 
C’est dans ce contexte que Le Monde publie un article sur les « arnaques » de certains producteurs d’électricité alternatifs à EDF, qui vendent plus cher une électricité labellisée « verte » alors qu’en fait elle est « grise » (en général nucléaire) puis « verdie » par le biais de « certificats verts » achetés auprès des producteurs d’hydroélectricité.
 
F.M.

Discours de Ségolène Royal aux 6èmes rencontres de la démocratie participative à Poitiers

Intervention de Ségolène Royal, Présidente de la Région Poitou-Charentes
Bonjour à toutes et à tous,
Bienvenue à la Maison de la Région où je suis heureuse de vous accueillir pour la 6ème édition de nos Rencontres Europe-Amériques sur la démocratie participative.
Je salue les élus régionaux et ceux venus d'autres territoires, dont la présence témoigne qu'ils n'opposent pas démocratie représentative et démocratie participative car, loin de les vivre comme concurrentes, ils les savent complémentaires. J'aperçois également nombre de militants de la participation plus directe des citoyens aux décisions qui les concernent et je m'en réjouis car ces Rencontres sont nées d'une conviction : la nécessité d'allier la pratique et la théorie, de confronter l'engagement sur le terrain et le questionnement scientifique.
I.- Salutations aux intervenants : chercheurs et praticiens
Je salue chaleureusement les chercheurs venus de plusieurs pays d'Europe et du continent américain et je les remercie de nous apporter, tout au long de cette journée, l'éclairage de leurs travaux. Merci à celles et ceux qui assumeront le rôle de discutants lors des 4 tables rondes.
A Julien Talpin qui est, en liaison avec l'équipe Démocratie Participative de la Région, le coordonnateur scientifique des Rencontres de cette année. Et à Yves Sintomer, qui nous rejoindra tout à l'heure et clôturera cette 6ème édition : il n'en a, depuis 2005, manqué aucune ; cette fidélité et sa réflexion exigeante sur les critères d'une participation qui transforme réellement la manière de conduire les affaires publiques nous sont infiniment précieuses.
Merci aussi aux praticiens chevronnés de la démocratie participative qui nous exposeront comment ils prennent en compte les inégalités sociales et de genre, les différences culturelles et générationnelles dans les contenus et dans les procédures des démarches participatives qu'ils animent. Bienvenue, donc, aux chercheurs, aux acteurs ainsi qu'à celles et ceux de nos invités qui participent des deux univers, entre « observation participante » et, si j'ose dire, « participation réfléchissante ».
II.- Interroger nos manières d'agir
Loin de moi l'idée de confondre le champ de la recherche et celui de l'action, et encore moins les rôles respectifs « du savant et du politique », mais permettez-moi, en tant que Présidente d'une Région qui a fait de la démocratie participative une dimension forte de toutes ses politiques publiques (« au service du public », nous dirait Yves Sintomer), de vous dire tout le prix que j'attache à cette journée placée sous le signe de la fertilisation croisée. Les échanges d'expériences et les mises en perspective dont ce rendez-vous annuel est l'occasion nous aident à interroger nos manières d'agir et à ne pas céder aux pièges de quelque routine autosatisfaite.
Bien sûr, je suis fière que la Région Poitou-Charentes soit, en France, pionnière en matière de démocratie participative même si elle ne détient heureusement nul monopole en ce domaine. Parce que nous avons inventé un Budget Participatif des Lycées qui institue un véritable partage du pouvoir de décider de la dépense publique et a rassemblé en 2009 23.000 participants. Par ce que, sans nous soucier des cris d'orfraie poussés à droite et à gauche, fait appel à des Jurys Citoyens pour évaluer l'efficacité de nos politiques régionales dans des domaines comme la lutte contre le réchauffement climatique, le soutien aux entreprises et aux entrepreneurs ou la mobilité et les transports.
Mais je sais aussi combien nous devons, à l'égard de ces initiatives et de bien d'autres qui nous tiennent à coeur, rester vigilants. Pour garder le bon cap, pour corriger ce qui doit l'être, pour faire évoluer des outils qui ne doivent jamais être figés dans le bronze de quelque paresseuse certitude, je crois à l'importance de ces questions – même et peut-être surtout les plus dérangeantes – que nous posent les travaux des chercheurs et les expériences venues d'ailleurs. Et d'abord celle-ci : quel est, à y regarder de près, le peuple de la participation ?
III.- Démocratie participative et classes populaires
Sont-ils bien là, dans nos différentes déclinaisons de la démocratie participative, avec tous les autres et pas moins légitimes, ceux dont on entend si peu la voix ? Ceux qu'on ne sollicite pas pour qu'ils disent ce qu'ils savent des situations qu'ils vivent ?
Ceux dont on veut le bulletin mais pas plus et qui, en retour, ne se préoccupent plus de peser quand on ne leur renvoie que l'image de leur disqualification et que tout pouvoir d'influer leur est dénié ?
Ceux qui perçoivent souvent les institutions comme plus humiliantes que protectrices ? Et le vote, ce droit chèrement conquis, comme une injonction qui ne fait plus sens ? C'est, pour la démocratie participative, une question-clef. C'est pourquoi nous avons voulu y consacrer les Rencontres de cette année : qui participe ? Qui ne participe pas ? Et pourquoi ?
Quelles sont les raisons et les conditions de la mobilisation des citoyens, de tous les citoyens, dans les différentes démarches participatives qui se développent aujourd'hui sous toutes les latitudes ? Quelles motivations, forcément diverses, poussent à s'impliquer ? Quels obstacles sont à lever et quelles précautions à prendre pour tenir effectivement la promesse d'un égal accès de tous à la parole, à la délibération et à la décision ?
Quels enjeux et quelles règles du jeu pour qu'un Budget Participatif ou un Jury Citoyen ne reproduisent pas ce « biais sociologique » abondamment décrit par les chercheurs, qui relègue aux marges de l'espace public ceux qui ne s'y sentent pas à leur place et ne possèdent pas les codes habituellement exigés pour y être reconnus ?
Ces sujets n'étaient pas absents des précédentes éditions de ces Rencontres, organisées depuis 6 ans en partenariat avec Sciences Po et nos amis du Collège Amérique latine, Espagne et Portugal implanté à Poitiers, dont je salue le directeur, Olivier Dabène, et les étudiants ici présents bien qu'ils soient en pleine période de révision. Mais nous ne les avons jamais traités de front. Nous le faisons cette année.
IV.- Constats de carence et refus d'une démocratie élitaire
Ma volonté de mettre en oeuvre une véritable démocratie participative est née d'un constat de carence de la démocratie électorale : réduire le rôle des citoyens à la désignation périodique de leurs représentants, cela ne suffit pas et cela ne marche plus.
Elle est née du refus de ce mode de décision vertical de plus en plus décalé par rapport aux évolutions en profondeur de la société et aux attentes des citoyens. Elle est née du refus que le monopole de l'expertise légitime reste détenu par quelques uns, toujours les mêmes, dont les échecs à répétition n'entament pas l'arrogance et dont les résistances au débat public tournent le dos à ce que devrait être un nouvel art de gouverner dans un monde incertain.
A fortiori quand, sur fond d'insécurisation sociale, de chômage de masse et de précarisation croissante (que va aggraver le plan de rigueur annoncé par le gouvernement), sur fond aussi de globalisation subie et de cours erratique des affaires du monde, progresse un sentiment d'impuissance qui a pour corollaire un indifférentisme électoral seulement entamé, à titre exceptionnel, par la campagne présidentielle de 2007. Ainsi se répand l'impression que « là-haut », classe politique incluse et toutes étiquettes confondues, tout se vaut et s'équivaut dans un monde lointain régi par l'entre-soi.
C'est pourquoi il est urgent de reconnaître aux citoyens une compétence à intervenir dans l'élaboration des décisions publiques et le contrôle de leur application, toutes choses souverainement ignorées ou combattues par les conceptions élitaires de la démocratie, jadis explicites et aujourd'hui implicites mais toujours bien ancrées.
Je parle ici, bien sûr, d'une démocratie authentiquement participative et non de ce que, trop souvent, on baptise du même nom : une fade « démocratie de proximité » sans enjeux ou ce que les chercheurs appellent « écoute sélective », simples consultations sans règles du jeu claires, frustrantes, décevantes et lassantes pour ceux qui y prennent part.
V.- Le risque du « cens caché »
La pureté des intentions des promoteurs de la démocratie participative ne la met pas miraculeusement à l'abri de certaines tendances lourdes qui minent la démocratie représentative au point d'en faire ce que certains appellent une « démocratie de l'abstention ».
Les dernières élections régionales ont vu des taux records d'abstention dans les quartiers populaires. En Poitou-Charentes, nos 14 quartiers classés en « zones urbaines sensibles » n'ont pas été à ce point emportés par la vague abstentionniste mais, à l'échelle nationale, le mouvement est profond et ne date pas d'aujourd'hui. En 2005, lors du référendum sur l'Europe, où pourtant le débat fut vif dans tout le pays, la courbe de participation épousait, dans les grandes agglomérations, le prix du m² : maximum à Neuilly, minimum en Seine St Denis. La forte participation aux élections présidentielles de 2007 montre qu'il n'y a pas de fatalité en la matière mais reste une fugitive exception.
Quand les cartes de la ségrégation sociale, de la relégation spatiale et de l'auto-exclusion électorale se recoupent à ce point, l'inadaptation de l'offre politique y a bien sûr sa part et aussi la lassitude de trop de promesses non tenues. Mais surtout les ravages d'une déstabilisation et d'une fragilisation professionnelles, scolaires et plus largement sociales qui portent atteinte au sentiment que l'on a de son utilité aux yeux de la société, de sa propre valeur et de sa compétence pour se prononcer sur ce qui paraît le théâtre lointain d'un monde politique hors d'atteinte.
Quel rapport, me direz-vous, entre cet indifférentisme électoral et la démocratie participative ? Le risque, si l'on n'y prend garde, que le même « cens caché » y réserve la participation à ceux qui, parce qu'ils ne doutent pas de leur légitimité, sont toujours prêts à faire valoire leur point de vue. A ceux qui ont le statut professionnel ou le bagage scolaire ou le rapport apaisé aux institutions ou l'aisance culturelle ou encore l'expérience acquise dans le militantisme qui facilitent la prise de parole, cependant que les autres déclinent une offre participative qui n'entame pas leur scepticisme et dont ils redoutent qu'elle les expose à une situation d'humiliation.
VI.- Mobiliser à égalité les lycéens de toutes les filières, EREA et MFR comprises
En Poitou-Charentes, quand nous avons pris le parti de développer la démocratie participative, nous étions conscients de ce danger de participation segrégative.
C'est pourquoi, quand nous avons créé le BPL, nous avons décidé de mobiliser à égalité les lycéens de toutes les filières d'enseignement (générale, technologique, professionnelle, agricole). Y compris l'enseignement adapté qu'on nous conseillait de laisser de côté parce que ce sont souvent des enfants en grande souffrance et qui se vivent comme en marge du système scolaire. Nous avons refusé de faire une distinction entre eux et les autres.Le fait d'être traités comme tous les lycéens fut, pour eux, un signe de reconnaissance important.
Le BPL a été étendu aux Maisons Familiales et Rurales qui forment des jeunes souvent issus de familles d'agriculteurs, aux ressources généralement modestes. Voilà de quelle manière nous nous sommes efforcés de toucher les élèves de tous les milieux et de garantir à tous une même égalité de traitement.
VII.- JURYS CITOYENS : garantir la diversité du recrutement et l'égalité devant la parole
Avec les Jurys Citoyens, nous avons veillé à refléter aussi bien que possible la diversité sociale, générationnelle et territoriale de la région.
L'indemnisation de la participation de chacun a sans doute, pour les plus démunis, facilité la décision de participer.
Les 3 Jurys que nous avons réunis en 2008 et 2009 avec, chacun, sa trentaine de participants, présentaient des profils très divers. Des hommes et des femmes de tous âges, des actifs, des chômeurs, des retraités, des mères au foyer, des ouvriers, des cadres, des artisans, professions libérales, des salariés du public et du privé, des femmes de ménage, une jeune caissière de supermarché mère célibataire...
Nous savions qu'un problème majeur était celui de l'égalité devant la somme d'informations à assimiler et la prise de parole, c'est à dire la capacité à interroger les intervenants auditionnés et à prendre une part égale à la délibération collective. Certains nous ont confié, à l'issue de leur Jury, qu'ils n'avaient jamais autant lu depuis 10 ou 15 ans et que s'y remettre à haute dose avait requis de leur part un gros effort. Vous verrez dans le petit film qui sera projeté tout à l'heure, qu'un juré, ouvrier dans une usine de produits surgelés, appréhendait de se retrouver dans un groupe où les différences sociales et culturelles risquaient de le mettre en position d'infériorité.
Je vous laisse découvrir ce qu'il en dit. Tout repose, à ce stade, sur la qualité de l'animation que nous avons confiée à une équipe expérimentée qui a veillé :
- à l'appropriation collective, pas à pas, de la documentation fournie, de sorte que ceux peu familiers de la lecture ne soient pas pénalisés ;
- à la préparation également collective des auditions ; 
- à ce que nul ne monopolise la parole.
Les membres du Jury ont d'ailleurs été très conscients de l'attention portée à cette égalité d'expression (l'animation a été évaluée par les Jurés en fin de session). Voilà comment nous nous sommes efforcés de garder le cap sur l'objectif d'une participation populaire.
VIII.- Condition de la mobilisation participative : un enjeu, des règles claires
Pour vaincre le scepticisme de ceux à qui on ne demande jamais leur avis, de ceux qui ont plus l'habitude de subir que de peser, de ceux qui se méfient d'une demande émanant d'une institution, de ceux qui soupçonnent les politiques d'intentions toujours manipulatrices, il faut un enjeu réel qui justifie l'appel fait aux citoyens et le temps qui leur est demandé. Car les gens n'ont pas que ça à faire dans la vie et il faut que le jeu en vaille la chandelle.
L'enjeu, c'est soit un pouvoir de décision direct (comme dans les Budgets Participatifs) soit un vrai pouvoir d'inflexion de la décision publique (comme dans les Jurys Citoyens), ce qui suppose que les propositions retenues (pas forcément toutes) soient vraiment appliquées.
La qualité de l'expérience vécue en commun par les citoyens, la satisfaction d'être reconnus comme capables d'expertise et force de proposition, l'engagement dont ils font preuve pour être à la hauteur de leur tâche, le sentiment qu'ils en retirent d'un monde politique moins éloigné de leurs préoccupations, tout cela peut très vite se retourner en violente déception si la parole donnée n'est pas tenue et si leur travail, au bout du compte, ne débouche sur rien de palpable. Car les citoyens ne s'y trompent pas. Ils savent distinguer une mise en scène participative d'une participation vraie.
IX.- De l'hostilité à la manipulation ? Pour une éthique de la participation
Il nous faut assumer le risque fécond que la parole des citoyens bouscule nos certitudes.
Non pas en soutenant l'idée démagogique que la vérité sortirait toute crue de leur bouche mais en les créditant réellement du pouvoir de réfléchir ensemble à des questions complexes (dès lors que les conditions procédurales d'une délibération de qualité sont réunies) et de construire, par-delà les égoïsmes naturels et les préjugés dont nul n'est exempt, un intérêt général qui n'est jamais donné à priori. Cela suppose une « éthique de la participation » qui s'interdise les faux semblants. Les décisions publiques y gagneront une pertinence, une légitimité et ne assise plus solides.
La démocratie participative n'a pas réponse à tout mais c'est une dimension fondamentale de la réponse à apporter, a fortiori par gros temps, aux fossés qui se creusent, aux désespoirs qui s'y engouffrent, aux rejets qui y prospèrent.
X.- L'an prochain à Poitiers...
Nous venons de vivre, en Poitou-Charentes, un exemple emblématique de ces manières de gouverner que les citoyens ne supportent plus : la gestion autoritaire et chaotique des suites de la tempête Xynthia qui s'est abattue sur nos côtes, au mépris brutal des sinistrés, des scientifiques de nos universités régionales familiers de ces questions et de la mémoire au long cours des populations locales.
Peut-être pourrions-nous, pour nos Rencontres de l'année prochaine, nous pencher sur ce que la démocratie participative peut apporter à la gestion des catastrophes et sur ce que la nécessaire démocratisation des controverses scientifiques peut apporter à la gestion des risques naturels, sanitaires et technologiques.
Merci de votre attention.
Merci de votre présence.
Merci de nous aider, par vos expériences et vos travaux, à agir plus juste.
6èmes rencontres Europe-Amériques sur la démocratie partcipative « Raisons et conditions de la mobilisation » 21 mai 2010 Maison de la Région Poitou-Charentes