8 mai 2010

Sordide

Philippe Frémeaux | Alternatives Economiques n° 291 - mai 2010
La façon de faire du gouvernement sur le dossier des retraites n'est acceptable ni dans sa méthode
ni dans ses objectifs. Côté méthode, l'Etat revient une fois de plus sur ses engagements.
Souvenez-vous, en 2003, le ministre des Affaires sociales d'alors, un certain François Fillon, avait
fait adopter une réforme qui prévoyait une clause de revoyure tous les cinq ans, afin d'ajuster les
paramètres des régimes. Après un premier rendez-vous en 2008, le second devait donc intervenir
en 2013. Et voilà que début 2010, le président nous explique qu'il y a urgence, que la crise a
bouleversé la situation et qu'il faut "sauver les retraites", ce qui, dans la novlangue du pouvoir,
signifie réduire une fois de plus les droits des futurs retraités.
Il y aurait donc urgence absolue à agir pour assurer l'équilibre des régimes de retraite en 2020,
voire 2050? Evidemment non. En fait, le gouvernement entend profiter des déficits actuels, liés à
la baisse des rentrées de cotisations sociales provoquée par la crise, pour dramatiser l'enjeu à long
terme et imposer de nouvelles mesures restrictives, en sus de toutes celles adoptées depuis 1993.
Ce faisant, il poursuit aussi un but plus immédiat, et plus légitime: témoigner de sa volonté
d'équilibrer les comptes des régimes sociaux afin de préserver le crédit de la France, alors que la
dette publique devrait dépasser 80% du PIB cette année.
Le problème est que, pour atteindre cet objectif, le moyen choisi est de couper dans les dépenses,
en s'interdisant toute hausse des prélèvements. Le parallèle s'impose ici avec la poursuite des
coupes claires dans les effectifs de la fonction publique et le refus de toute remise en cause des
cadeaux fiscaux faits aux plus aisés depuis 2002.
Résultat: la priorité va sans doute être donnée à un report de l'âge légal de la retraite à 62, voire 63
ans. Contraindre les salariés à demeurer en poste, y compris ceux qui ont déjà cotisé le nombre
d'annuités requises, permet en effet de réduire rapidement le coût global des retraites. La mesure
est d'ailleurs plébiscitée par le patronat, qui réclame un report rapide de l'âge de départ à 65 ans,
tout en continuant de pousser dehors les salariés âgés… Elle présente juste un petit défaut: elle
pénalise tout particulièrement les salariés les moins bien lotis, ceux qui ont commencé à travailler
très jeunes, dont l'espérance de vie est la plus faible et qui, arrivés à 60 ans, ont souvent déjà cotisé
bien plus de quarante années. Un report de l'âge de la retraite serait en outre assez sordide dans la
conjoncture actuelle, puisqu'une majorité de salariés sont hors l'emploi à 60 ans. Reporter leur âge
de départ revient à les maintenir plus longtemps dans la précarité, afin d'empocher la différence
qui sépare le montant de leurs futures pensions et les maigres revenus de remplacement auxquels
ils accèdent aujourd'hui, au titre du chômage ou de l'invalidité. Quant à ceux qui sont encore en
emploi, leur maintien en poste deux ou trois années de plus va pénaliser les jeunes, déjà très
nombreux à fréquenter Pôle emploi.
Il ne suffit certes pas de faire payer les riches pour équilibrer les retraites à long terme, mais il est
totalement inacceptable qu'on demande aux seuls pauvres de supporter l'ajustement que la crise a
rendu nécessaire.
Philippe Frémeaux | Alternatives Economiques n° 291 - mai 2010

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