22 février 2010

Parce que la pauvreté n'est pas que dans les chiffres !

Florence Aubenas à Paris, février 2010 (Audrey Cerdan/Rue89)
Comprendre pour mieux répondre aux problèmes de notre société

Depuis 2006, avec la campagne interne du Parti socialiste, Ségolène Royal propose une autre façon de faire de la politique pour répondre aux problèmes « des gens ». Cette idée a suscité et suscite encore beaucoup de sarcasmes chez certains, qui voient dans cette orientation une forme de populisme. Pourtant Ségolène Royal reste déterminée sur cette orientation pour sortir des formules de campagne électorale de type « travailler plus pour gagner plus » et des querelles idéologiques sans lendemain. La présidente de la région Poitou-Charentes, comme elle a pu l’expérimenter dans sa région,  propose de réfléchir aux problèmes de notre société et d’apporter des réponses précises dans le cadre des valeurs de la gauche : une société plus juste et fraternelle.


Balayant les clans et les luttes d’appareils politiques, Ségolène Royal s’attache à redonner un sens à la politique, pour une gouvernance de proximité qui réponde aux réels besoins de la population.
C‘est dans le cadre de cette politique que l’enquête réalisée par Florence Aubenas nous semble particulièrement intéressante. Loin des statistiques, la journaliste s’est immergée durant six mots pour vivre de l’intérieur les problèmes de la précarité. Elle témoigne dans son livre de la violence de ce monde du travail réel. 

Florence Aubenas : pratique de l'immersion en temps de crise
Dans le sillage du journaliste allemand Günter Wallraff, du Français Hubert Prolongeau et de quelques autres, Florence Aubena s'est immergé en milieu précaire, et a cherché un emploi. Résultat : un livre saisissant, et des questions sur une pratique efficace. Entretien.
« Se laisser porter par la vie », « reprendre un temps normal », et « parler de la crise par ceux qu'elle touche » : voilà ce que Florence Aubenas [précision : Florence Aubenas est actionnaire minoritaire de Rue89, ndlr] a décidé de faire.
Entre février et juillet 2009, elle a pris un congé sans solde à son journal (Le Nouvel Observateur), changé sa couleur de cheveux, et est partie voir la situation de l'emploi à Caen. Avec en poche ses vrais papiers et un CV avec un léger trou, elle s'est mise dans la peau d'une femme de ménage et a cherché un travail.

Des journalistes comme modèles

Quand l'idée de cette expérience lui est venue, Florence Aubenas avait lu les ouvrages qui font autorité sur la pratique de l'immersion. Comme « Tête de Turc » (1986) où le journaliste allemand Günter Wallraff prend pour nom Ali Sinirlioglu, et se fait passer pour un Turc à la recherche d'un emploi. Ou le travail d' Hubert Prolongeau dans "Sans domicile fixe" (1997), inspiré de la même méthode. (Voir la video)

Le quotidien d'une femme de ménage

A Caen, elle s'installe dans une petite chambre (loyer : 348 euros) et se plonge dans le quotidien d'une femme de ménage : agences d'intérim, entretiens à Pôle emploi, boulots difficiles…
Dans le reportage que la journaliste tire de cette expérience, elle raconte un monde dont on sait qu'il existe (« je ne prétends pas avoir découvert la précarité ! ») mais dont on ignore ses existences marquées par la perte d'un emploi, et plus encore par la peur de le perdre.
Il y a Marilou, 20 ans. Elle a deux boulots, dans le ménage. Des CDD. Auxquels vient s'ajouter un troisième emploi. Des « heures » à des horaires impossibles. 200 euros touchés lorsqu'elle démissionne. Un « parachute doré », dira son employeur.
Il y a Philippe, rencontré à un forum pour l'emploi. Chômeur. Lucide. Pour lui, perdre son travail, ce n'est pas la mort. A condition de tout accepter ensuite. Accepter de repartir de zéro.
Victoria, l'amie, ancienne syndicaliste qui fait claquer le mot « femme de ménage » bien fort quand on lui demande ce qu'elle faisait plus jeune. Et tant d'autres.
Tout accepter, ce sont des horaires absurdes, tous les jours, toutes les nuits ; des conditions que l'employeur sait que vous n'êtes pas en mesure de négocier. Des jambes en compote, la fatigue et l'indifférence. Ces clients qui lorsqu'ils vous rencontrent ne savent plus où regarder.

Un reportage qui a de la voix

Sans pathos, Florence Aubenas restitue la violence du travail précaire sans jamais oublier les amitiés qui s'y créent, le courage de recommencer tous les jours sans se départir de sa drôlerie et de son courage. Le livre est à l'avenant : écrit au présent (un temps cash), elle présente les faits avec légèreté et fidélité, laisse ses « témoins » dire la gravité de la situation, de la crise, et de la vie.
Elle les laisse aussi dire les contrats qu'ils passent entre eux, faute d'en avoir d'autres : la solidarité, l'écoute, les discussions. De nombreuses discussions inattendues jalonnent le livre. Comme cette accompagnatrice, Mme Astrid, dont le romancier préféré est PPDA.
L'expérience n'était pas aisée : observatrice aisée (parisienne, pas précaire) et participante, elle a transformé cette immersion pied de nez en reportage. Et s'est arrêtée dès qu'on lui a proposé un CDI, pour ne prendre le travail de personne. (Voir la video)

Trop de médiatisation ?

Ce livre est écrit par une journaliste qui est devenue un vrai personnage depuis sa détention (un livre en 2007). Et qui a été fort médiatisée cette semaine. Son visage, connu de tous durant la guerre en Irak, a été en couverture du Nouvel Obs pour annoncer la sortie de ce livre.
Trop de médiatisation ? Florence Aubenas le reconnaît, sa détention l'a rendue célèbre. Elle dit n'en avoir que les aspects positifs : on s'intéresse à son travail, là, à son livre.
Comme elle le dit dans l'interview, et comme le prouve son livre, « les médias ont du mal à rendre le réel », surtout lorsqu'il est immatériel (précarité, pauvreté). Le procédé utilisé (immersion) génère aussi un procédé (la narration) et un tempo (laisser la vie opérer) qui ne sont plus possible dans la presse d'aujourd'hui.
Ce genre d'immersion fera obligatoirement penser aux livres de William T. Volmann sur la violence et sur la pauvreté. Le genre de livres qui font penser que l'écriture est la plus belle des empathies. (Voir la vidéo)

Zineb Dryef et Hubert Artus
Photo : Florence Aubenas à Paris, février 2010 (Audrey Cerdan/Rue89)

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