24 mai 2010

A la une de Marianne : Ségolène Royal, pourquoi ils n’arrivent pas à s’en débarrasser

Elle bouge encore. Elle est vivante. Le club des éléphants réunis pensait l'avoir « fly-toxée » lors du congrès de Reims. Un an et demi après, elle est toujours là. Obstinée. Mordante. Depuis des semaines, dans un élan d'« alain-duhamélisation » généralisée, les com­mentateurs politiques soliloquent sur un duel Strauss-Kahn - Aubry, mais rien y fait : chassée par la porte, Ségolène Royal revient par la fenêtre.

En l'occurrence, grâce à un sondage Ifop paru dans Paris Match, où elle parvient à se glisser entre Dominique et Martine. Certes, une enquête d'opinion ne fait pas un printemps électoral. Mais l'increvable Mme Royal vient de se rappe­ler au bon souvenir de ceux qui l'avaient enterrée. Ou qui avaient préféré l'ignorer pour mieux la banaliser. En vain. La «folle » du Poitou, l'« irrationnelle » de Melle rend toujours plus dingues ceux qui voudraient tant la voir disparaître. S'ils n'ont pas réussi à se débarrasser de la gênante, c'est d'abord parce que l'in­téressée a décidé d'organiser son propre enlèvement médiatique et politique. De les fuir, tous autant qu'ils sont. Une retraite stratégique dans son « laboratoire » du Poitou-Charentes. De longs mois passés loin « du microcosme parisien et des guerres d'ap­pareil qui assèchent et stérilisent », décrypte son entourage, pour obtenir une réélec­tion sans bavure. En franchissant la barre symbolique des 60 %, c'est chose faite.

« Ce résultat l'a requinquée, explique sa jeune porte-parole, Najat Vallaud-Belkacem. Ça l'a renforcée dans sa façon défaire de la poli­tique. » Une nécessité après un congrès de Reims qui reste pour elle « une blessure ». La « victoire volée », la morgue des vainqueurs, sa rage inaudible...

Tout cela « appartient au passé », jurent, la main sur le cœur, les membres du club très fermé des ségolé-nistes pratiquants. Elle serait plus « apaisée » que jamais. Et plus décidée aussi, répétant inlassablement à son quarteron de lieute­nants la même phrase quasi prophétique : « Regardons devant. »

Devant ? La présiden­tielle bien sûr, si affinités populaires. Elle a conservé un lien avec ce peuple à qui le PS parle si peu. Un lien ténu mais qui peut paraître prometteur... Nouvelle méthode Donc un repli en province pour éviter les coups, et aussi un changement de méthode pour en porter de plus justes. Fini, apparemment, le temps des slogans et des concepts ésotériques. Entre les mains de ses adversaires, ils devenaient des armes terribles. Désormais, sur la taxe carbone, sur la rigueur, sur les retraites et contre les injustices sarkozystes, elle fait entendre sa différence, avec, à chaque fois, un temps d'avance sur la direction du PS.

Qu'importe la cohérence pourvu que le timing soit bon. Ségolène Royal sait, en outre, dénicher à domicile des sujets symboles qui feront office de tribunes. La tempête Xynthia ? L'occasion pour elle de s'en prendre à l'administration aveugle et à la verte Cécile Duflot, de lui expliquer que l'écologie ne doit pas se pra­tiquer hors sol, déconnectée du sacro-saint principe de réalité.

Royal agite aussi osten­siblement son volontarisme en matière d'emploi au niveau local. C'est le cas avec l'entreprise Heuliez et sa voiture électrique dont elle a fait un Renault Billancourt du XXIe siècle, obligeant le ministre de l'Indus­trie, Christian Estrosi, à lui porter secours. Un volontarisme qui lui per­met de continuer d'exister loin de Paris, mais qui a aussi parfois ses limites : d'après de récents chiffres de l'Insee, le Poitou-Charentes compte parmi les huit régions fran­çaises à avoir connu le plus de destructions d'emplois salariés privés sur la période 2008-2009.

Il n'empêche, désormais, Madame « choisit ses sujets ». Avec plus de soin que par le passé. Pour mieux exister. « Onbosse, on se muscle, et quand il faut taper, on tape ! » explique une collaboratrice ardente. « Ségo » aurait donc appris à s'économiser, à se faire désirer, à créer le besoin chez l'électeur consommateur.

Elle aurait acquis, selon Guillaume Garot, un autre de ses fidèles porte-voix, une « gestion mitterran-dienne du temps », rien que ça ! Convoquer Mitterrand, voilà qui est gonflé de la part du député-maire de Laval. Mais la référence ne sera sans doute pas pour déplaire à sa patronne. Tonton, lui, a échoué à deux reprises avant de décro­cher les clefs de l'Elysée.

Lula a réussi à la faire exploser de rire lors d'une rencontre au Brésil, en lui rappelant n'être parvenu à ses fins qu'à la quatrième tentative. Et si Ségolène n'est pas morte, c'est aussi et surtout parce qu'elle est certaine de son destin. Elle est persuadée, comme disent ses proches, d'être « en résonance avec les Fran­çais » et qu'elle finira par toucher au but.

Lorsque l'on est si sûr de soi, on ne peut pas mourir ! Du moins le croit-on... Et lorsque l'on est certain de sa victoire, pourquoi dévoiler son jeu ? Surtout quand tant de cartes restent incertaines. Chez les ségolénistes du premier cercle, on n'est pas convaincu que DSK, l'oncle d'Amérique, reviendra dans la partie. On explique même compter avec amusement « les leurres envoyés par l'Elysée et Solferino ».

Pas de calendrier donc pour Ségolène Royal. Officiellement. Si ce n'est celui du PS. Elle participera à l'automne prochain à la convention sur l'égalité réelle. Preuve, dit-on, que les rela­tions avec la direction du parti se sont « normalisées ». « Normalisées », le mot revient en boucle et personne chez les roya­listes n'en trouve de moins administratif. Les attaques et les piques envoyées de part et d'autre, en tout cas, ont cessé. La période ne s'y prête pas. Les électeurs de gauche ne comprendraient pas. On se contente à « Solfé » de soupirer d'accablement comme devant un cas incurable...

Ségolène Royal, elle, s'obstine à se tenir à bonne distance du parti. Et il en est encore tout de même quelques-uns pour dire tout le mal qu'ils pensent de cette posture. « il n'y en a bien qu'une qui s'agite à l'extérieur, c'est elle. C'est la seule », tacle Pascale Gérard, une proche de Bertrand Delanoë tombée en amour pour Martine Aubry depuis qu'elle est entrée au secré­tariat national du PS.

Perso, la Ségo ? Rien de nouveau sous le soleil. Mais, si la dame du Poitou bouge encore aujourd'hui, c'est aussi parce qu'elle est parvenue, en adop­tant cette position hors parti, à conserver sa liberté de ton. Elle n'est pas « encombrée par le costard du PS », concède un de ses sou­tiens de l'ombre. Une liberté qui tranche avec la paralysie dont sont frappés ses « camarades ». Aubry, elle, est obligée de jouer les équilibristes pour satisfaire les différentes tendances qui cohabitent au sein du PS. Avec une souplesse qu'on ne lui connaissait pas. Une recherche de consen­sus qui lui a imposé de garder longtemps le silence sur le dossier des retraites. C'en est fini. Dans ce domaine, le parti à la rosé a fini par dévoiler son jeu. Mais c'est écrit : inévitablement, un sujet gênant reviendra sur le tapis. Un de ces sujets lourds comme les dettes et les déficits qui conduira à une « insolution » bavarde. Une paralysie dont est tout autant victime l'exilé de Washington. Le « cos­tard » de directeur du FMI n'est pas plus facile à porter. Il lui impose de se tenir à l'écart de la scène politique française. A ses relais parisiens de le faire exister mal­gré son absence. A lui, DSK, d'intervenir dans les médias pour se dédouaner de la politique de rigueur qu'imposé l'insti­tution qu'il dirige aux pays tombés sous sa coupe. Faire sans...

Mais, si Ségolène Royal reste libre, si elle n'est toujours pas morte, il faut bien recon­naître que sa rémission n'est pas totale. « Elle a beaucoup perdu auprès de l'opinion par rapport à 2006 et 2007, analyse Jérôme Fourquet, de l'Ifop. Mais sa cote remonte doucement depuis janvier, et l'on ne peut pas dire qu'elle soit hors jeu : ni DSK ni Aubry n'ont encore tué le match comme elle l'avait fait lors des précédentes primaires. » Et le directeur adjoint du département opinion de se lancer dans un pronostic : « S'il y a pléthore de candidats aux primaires de 2011, elle reste dans la course. S'ils ne sont que deux - elle face au candidat « canal officiel » du parti -, ce sera beaucoup, beaucoup plus dur. »

Les primaires ? L'ultime arme pour dézinguer Ségolène ? Peut-être. En attendant, pour affron­ter comme il se doit ce rendez-vous, il faut des soutiens. Or, les rangs ségolénistes sont clairsemés. Elle n'a cessé de s'isoler et ne dispose pas de ces pistoleros capables de faire le ménage pour elle. De poids lourds sur qui s'appuyer, Ségolène Royal n'en compte pas ou si peu. Restent une dizaine de jeunes élus locaux dévoués à sa cause, auxquels il faut ajouter les fidèles Jean-Louis Bianco. Gaétan Gorce et Domi­nique Bertinotti- Les autres ? « Ils revien­dront " prédit son entourage, toujours aussi optimiste. Reste à savoir si Ségolène Royal acceptera, elle, de voir rentrer au bercail déserteurs et torpilleurs. La « théoricienne de la fraternité a la réputation d'avoir la « rancunitude » tenace. Et son ancien cou­rant, L'Espoir à gauche, victime d'une OPA hostile de Vincent Peillon ? « il n'existe plus >. concède NajatVallaud-Belkacem. Qui s'em­presse d'ajouter : « Mats c'est valable pour les autres courants du Parti socialiste. »

Et Désirs d'avenir, sa grande fierté ? « Aujourd'hui, on doit être autour de 10 000 adhésions. » Certes, mais le bébé de Ségolène Royal aurait connu jusqu'à 15 000 adhérents au plus fort de la campagne prési­dentielle. Avec 10 000 adhé­rents, l'association retombe presque au niveau où elle était à sa fondation. Même les intellectuels sont peu nombreux : il y a bien Ariane Mnouchkine, la femme de théâtre, avec qui elle échange régulièrement, et Philippe Aghion, profes­seur à Harvard et à l'Ecole d'économie de Paris, qu'elle consulterait à l'occasion. Mais au-delà ? Son équipe lui fournit l'essentiel de sa matière première et, au final, elle décide seule. « On sait à quoi ressemble le cochon quand il entre dans la machine, mais on ne sait pas à quoi ressemblera la saucisse quand elle en sortira ! » plaisante une proche.

Pas ou peu d'intellos associés, une équipe restreinte, plus de cou­rant. Pour affronter une campagne des pri­maires, c'est maigre. Mais, par le passé, elle a déjà fait sans ces auxiliaires. Et puis elle a l'expérience d'une campagne. De la défaite aussi.

Une base pour écrire une autre his­toire, plus achevée, ou pour participer, en force, à celle de ses rivaux.

Mais pourront-ils jamais faire sans elle ? • G.A.

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