12 juin 2010

«La génération Mandela a fait un boulot fantastique»

Le Figaro 11/06/2010
 

INTERVIEW - Pour Mark Gevisser, écrivain et journaliste sud-africain, les inégalités demeurent, mais l'Afrique du Sud n'est plus menacée d'explosion.

Écrivain et journaliste sud-africain, biographe de l'ancien président Thabo Mbeki, Mark Gevisser évoque les progrès accomplis par son pays en deux décennies.

  Crédits photo : ASSOCIATED PRESS

Generation-Mandela.jpg Le Figaro. - En 1995, la Coupe du monde de rugby avait mis en avant une nouvelle Afrique du Sud. En ira-t-il de même cette année avec le football?
Mark Gevisser. - Il y a un mythe très puissant autour de la Coupe du monde de rugby et l'intervention particulière de Nelson Mandela, qui a offert au pays une sorte de rédemption politique. C'est le moment où Mandela aurait séduit les Afrikaners blancs. En Afrique du Sud, il y a une attente très forte que la Coupe du monde de football débouche sur une nouvelle rédemption, pas politique cette fois, mais économique. Thabo Mbeki, dont c'est le grand projet, a fait cette déclaration extraordinaire : «C'est le moment où l'Afrique va se lever et prendre sa place.» C'est un non-sens. Le football n'apportera pas cette rédemption économique. Au contraire, cela risque de creuser une dette qu'il sera très difficile de rembourser. D'un autre côté, est-ce bon pour l'image du pays et pour son identité, au moment où il est de plus en plus difficile de créer un sentiment national dans un État de plus en plus inégalitaire ? Si c'est le cas, il faut s'en réjouir car cela est sans prix.
 
Vous dites que le pays cherche la rédemption économique, mais en vingt ans on a vu surgir une classe moyenne noire jusqu'alors inexistante?
C'est là le vrai grand changement en Afrique du Sud. En fait, il y a deux catégories qui ont extraordinairement changé en une génération. D'abord les très pauvres, grâce au système d'aides sociales. Ce pays est peut-être celui qui compte la plus forte proportion de gens assistés au monde. Grâce à cela, la pauvreté a reculé. L'autre immense changement, c'est cette classe moyenne noire. Quand Mandela est arrivé au pouvoir, on comptait à peine plus de cent Noirs riches. Aujourd'hui, il y a en 900.000, voire 3 millions selon la manière dont on calcule. Ces gens sont devenus riches, notamment grâce aux programmes de discrimination positive dans les entreprises. Mais il y a aussi une petite minorité qui fait beaucoup d'argent en utilisant les bonnes connexions politiques.
 
N'y a-t-il pas eu de changement de mentalité en Afrique du Sud?
Bien sûr que si. On les mesure en pensant qu'il y a vingt ans le pays était au bord de la guerre civile. Il avait plusieurs pays coexistant dans le même pays. C'était l'essence même de l'apartheid. Et c'est dans la classe moyenne que les choses ont le plus changé : les Blancs ne pouvaient pas rester isolés et ils ont accueilli les Noirs. Mais, pour les Noirs pauvres, vivant dans des quartiers où il n'y a que des Noirs, élevés dans des écoles où il n'y a que des Noirs, je ne suis pas sûr que les mentalités aient autant changé que le pouvoir l'aurait voulu.
 
Diriez-vous que, malgré tout, l'Afrique du Sud est réconciliée avec elle-même?
Thabo Mbeki avait prévenu qu'il n'y aurait pas de réconciliation sans changement. Il avait raison. Aujourd'hui, dans l'ensemble, les Blancs sont encore riches et les Noirs pauvres. Il faut que cela progresse. Le pays n'est plus confronté au danger immédiat d'une explosion. La réconciliation viendra. Cela va prendre du temps et la route sera pleine de cahots. Mais, grâce au fabuleux travail réalisé par la génération Mandela, l'Afrique du Sud est devenue une nation. Les gens se sentent sud-africains avant tout. La présidentielle de 2009 l'a montré. Bien que Zuma soit un Zoulou revendiqué, son élection ne s'est absolument pas jouée sur des questions ethniques, comme on aurait pu le redouter.

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