16 septembre 2010

Une réforme de la formation des médecins, vite!

La médecine a connu de profondes mutations au cours des trente dernières années. Pourtant, le corps enseignant des facs de médecine continue à faire comme si rien n'avait bougé depuis 1970 ! C'est ce qu'explique Elie Arié.

Modifier la Formation Initiale et Continue des Médecins est le seul levier pouvant, à long terme, agir sur les problèmes de fond de notre système de soins.

Il est frappant que la quasi-totalité des propositions qui sont actuellement formulées, expriment des contraintes de tous ordres adressées aux galériens de la médecine, c'est-à-dire préférentiellement aux médecins généralistes, sans effleurer la responsabilité déterminante, du corps des formateurs, à savoir l'Université, son corps enseignant étrangement (volontairement ?) aveugle et sourd aux mutations profondes de la société depuis 1965-70, et fortement accélérées depuis les années 1980. L'augmentation justifiée du tarif des actes des généralistes ne changera rien à l'effondrement du système en cours.

Même si cela n'est pas dit, personne n'ignore :

1°) que la totalité de notre médecine est importée de l'étranger, pour l'information scientifique et technique, pour les réactifs et toutes techniques d'exploration, pour les médicaments et les modalités thérapeutiques, comme pour les concepts de raisonnement, d'évaluation et de pensée - par la voie des revues, des livres et des congrès. Cela n'est pas sans incidences économiques et culturelles.

2°) que la formation et l'activité des praticiens sont, ce faisant, préférentiellement orientées vers la prescription, celle des examens et des traitements. Nous avons ainsi, la médecine la plus coûteuse d'Europe, la plus grande consommation non seulement de tranquillisants, mais aussi d'antibiotiques, le taux le plus élevé de résistances bactériennes, d'infections nosocomiales graves et de recours aux nouveaux antibiotiques, les plus coûteux. Que ce qu'il est convenu d'appeler les "gisements de productivité" de l'exercice médical sont considérables et qu'il est possible et nécessaire de soigner mieux pour moins cher. Chaque année, 70 000 tonnes de médicaments payés et (partiellement) remboursés par la Sécu sont jetées par les Français [ in "Le monde" du 17 janvier 2002] ! ! !

3°) que les revendications médicales se résument à réclamer davantage de moyens sans aucune contrepartie de justifications ni de mesure des résultats obtenus, en termes de production de santé (il existe des instruments de mesure même frustes), de qualité de vie (une demande croissante des consommateurs de santé), d'investissements (coûts en argent et en temps actif perdu ou gaspillé), de productivité, et d'éthique (au moins de signification sociale et philosophique, celle du sens et du rôle de la médecine dans une société). Ce sont là les cinq composantes de la qualité des soins dont les politiques et tout un chacun se gargarise sans très bien savoir ni la définir ni la mesurer. Or chacun sait qu'on ne peut améliorer que ce qu'on mesure ! Où enseigne-t-on aux futurs médecins à mesurer (estimer) ce qu'ils produisent, les conditions dans lesquelles il le produisent, à chiffrer (estimer) et transmettre cette information ? Nulle part !

4°) Les compétences attendues, et exigées, du corps soignant professionnel non-médical, en particulier des infirmières et infirmiers se sont considérablement accrues depuis vingt ans. Il est hautement vraisemblable qu'elles (ils) pourraient exercer dans la médecine prétendument libérale (dite médecine "de ville"… et aussi de campagne) à l'instar du rôle actif qu'elles remplissent dans le milieu hospitalier, public ou privé. Cette fonction revaloriserait, s'il en était besoin, leur place improprement jugée subalterne (ne serait-ce que par leur liberté de décision et leurs émoluments) et soulagerait d'autant la charge des médecins praticiens par les petits soins dont ils se plaignent tant et auxquels ils disent répondre mal, faute de disponibilité. Cette proposition repose sur l'expérience nord-américaine qui montre que la qualité des prestations des "nurse practioners" et des résultats obtenus est identique à celle des médecins .

Compte tenu de ce qui précède, les principales réformes à apporter à la future Formation des Médecins (prônées depuis longtemps par tous ceux qui ont travaillé sur la question) doivent répondre aux grandes lignes suivantes :

1. Créer un enseignement spécifique de la médecine générale pour former les généralistes aux particularités de leur futur métier, ce qui n'est pas compatible avec l' enseignement actuel limité à des mini-stages dans différents services de spécialité ;
2. Définir les besoins en généralistes et en effectifs de chaque spécialité en fonction de la façon dont on veut organiser le système de soins, et non adapter en permanence celle-ci aux choix personnels des étudiants et aux besoins des Centres Hospitalo-Universitaires en internes et en étudiants pour faire « tourner » leurs services;
3. Introduire, dans l'enseignement de la médecine, des enseignants non-médecins et des matières non médicales indispensables à l'exercice de cette profession (économie de la santé, sociologie, gestion, informatique, psychologie, etc.) ;
4. Dissocier, pour les praticiens hospitaliers, les fonctions de soin, d'enseignement, de recherche, et d'administration, dont le cumul est devenu impossible ;
5. Pour l’information sur les médicaments, créer un organisme indépendant qui servira d'intermédiaire entre les informations fournies par les laboratoires pharmaceutiques et l'information des médecins, de façon à transformer la promotion commerciale en information objective.

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