28 septembre 2010

Des juristes aux Églises, l’inventaire des oppositions - Mediapart

Les manifestations du 4 septembre 2010 organisées à l'appel d'une centaine d'associations, de la plupart des syndicats de salariés et des partis politiques de gauche, ainsi que le concert Rock sans papiers qui a eu lieu à Paris-Bercy le 18 septembre, ont donné un aperçu de la diversité de la contestation à la politique répressive menée par Nicolas Sarkozy à l'égard des étrangers et des Roms en particulier. Ces événements sont apparus comme l'aboutissement citoyen d'une mobilisation engagée six mois plus tôt, dès lors que le projet de loi Besson sur l'immigration, l'intégration et la nationalité a été présenté en conseil des ministres, le 31 mars.
Entraînées par leurs précédentes offensives contre les lois Sarkozy et Hortefeux (2003, 2006 et 2007), les associations de défense des droits des étrangers ont rapidement rédigé des contre-argumentaires détaillés afin d'expliquer «pourquoi il faut combattre le projet de loi Besson». Les professionnels impliqués dans la chaîne des reconduites à la frontière, juges et avocats notamment, ont fait connaître leur opposition à une réforme, qu'ils estiment contre-productive.
Irrités par les déclarations estivales du chef de l'État, les représentants des Églises se sont eux aussi manifestés, ce qu'ils ne font qu'exceptionnellement sur des questions politiques. Les partis de gauche ont dénoncé, comme le PS, une «restriction inacceptable des droits des immigrés», tandis qu'à droite quelques voix discordantes commencent à se faire entendre, telle celle de la députée UMP Nicole Ameline qui menace de voter contre le texte, car celui-ci «comporte un certain nombre de risques sur le terrain des droits fondamentaux».
Alors que les parlementaires sont appelés à examiner le projet de loi Besson à partir de mardi 28 septembre, voici un état des lieux des analyses des uns et des autres.

La contre-expertise associative en première ligne

Le travail le plus détaillé a été produit par un collectif de 200 associations, Uni(e)s contre une immigration jetable (Ucij), créé en 2006 pour s'opposer à la deuxième loi de Nicolas Sarkozy sur l'immigration. Deux analyses ont été largement diffusées via internet, une synthèse de 14 pages et un document exhaustif de 84 pages. Parmi les structures les plus impliquées dans la rédaction: l'association des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'Anafé, la Cimade, le Gisti, Migreurop, le SAF et le Syndicat de la magistrature, chacun ayant contribué en fonction de son domaine d'action.
Zone d'attente, contentieux administratif, asile, travail, Outre-mer, séjour des mineurs isolés, nationalité, délit de solidarité: articles après articles, le collectif démontre les contradictions du projet de loi, en révèle les buts inavoués et en décrit les possibles conséquences. Il s'en prend à la nature même du texte, qui selon lui «marque un tournant considérable dans la politique d'immigration française, notamment parce qu'il introduit de véritables régimes d'exception», citant «l'enfermement sans aucun contrôle judiciaire pendant cinq jours et le bannissement de l'Union européenne».
«Officiellement, indiquent ces associations, il s'agit de transposer en droit français trois directives communautaires. Pour le gouvernement, qui fait dire à ces textes européens ce qu'ils ne contiennent pas toujours, c'est surtout l'occasion d'affûter contre les migrants les outils juridiques existants et d'en forger de nouveaux, utilisables dès leur arrivée et lors de leur éloignement, beaucoup plus expéditif, le tout en cherchant à prévenir leur retour en France et au-delà en Europe. Tous les moyens sont bons, à commencer par celui d'amoindrir le pouvoir pour les juges de sanctionner les illégalités de la police quand elle interpelle des étrangers ou les rafle en masse. Certaines pratiques, jusqu'alors condamnées par les tribunaux, vont devenir acceptables. Malgré l'échec flagrant de la politique répressive envers les migrants, et sans tirer le bilan des conséquences humaines catastrophiques de cette politique, le projet de loi s'obstine à poursuivre dans la même impasse. Son message est au fond beaucoup plus politique que technique. Il est sous-tendu par l'idée selon laquelle les migrants ne bénéficient pas des mêmes droits et n'ont donc pas la même dignité humaine que les autres.»

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    Les manifestations du 4 septembre 2010 organisées à l'appel d'une centaine d'associations, de la plupart des syndicats de salariés et des partis politiques de gauche, ainsi que le concert Rock sans papiers qui a eu lieu à Paris-Bercy le 18 septembre, ont donné un aperçu de la diversité de la contestation à la politique répressive menée par Nicolas Sarkozy à l'égard des étrangers et des Roms en particulier. Ces événements sont apparus comme l'aboutissement citoyen d'une mobilisation engagée six mois plus tôt, dès lors que le projet de loi Besson sur l'immigration, l'intégration et la nationalité a été présenté en conseil des ministres, le 31 mars.
    Entraînées par leurs précédentes offensives contre les lois Sarkozy et Hortefeux (2003, 2006 et 2007), les associations de défense des droits des étrangers ont rapidement rédigé des contre-argumentaires détaillés afin d'expliquer «pourquoi il faut combattre le projet de loi Besson». Les professionnels impliqués dans la chaîne des reconduites à la frontière, juges et avocats notamment, ont fait connaître leur opposition à une réforme, qu'ils estiment contre-productive.
    Irrités par les déclarations estivales du chef de l'État, les représentants des Églises se sont eux aussi manifestés, ce qu'ils ne font qu'exceptionnellement sur des questions politiques. Les partis de gauche ont dénoncé, comme le PS, une «restriction inacceptable des droits des immigrés», tandis qu'à droite quelques voix discordantes commencent à se faire entendre, telle celle de la députée UMP Nicole Ameline qui menace de voter contre le texte, car celui-ci «comporte un certain nombre de risques sur le terrain des droits fondamentaux».
    Alors que les parlementaires sont appelés à examiner le projet de loi Besson à partir de mardi 28 septembre, voici un état des lieux des analyses des uns et des autres.

    La contre-expertise associative en première ligne

    Le travail le plus détaillé a été produit par un collectif de 200 associations, Uni(e)s contre une immigration jetable (Ucij), créé en 2006 pour s'opposer à la deuxième loi de Nicolas Sarkozy sur l'immigration. Deux analyses ont été largement diffusées via internet, une synthèse de 14 pages et un document exhaustif de 84 pages. Parmi les structures les plus impliquées dans la rédaction: l'association des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'Anafé, la Cimade, le Gisti, Migreurop, le SAF et le Syndicat de la magistrature, chacun ayant contribué en fonction de son domaine d'action.
    Zone d'attente, contentieux administratif, asile, travail, Outre-mer, séjour des mineurs isolés, nationalité, délit de solidarité: articles après articles, le collectif démontre les contradictions du projet de loi, en révèle les buts inavoués et en décrit les possibles conséquences. Il s'en prend à la nature même du texte, qui selon lui «marque un tournant considérable dans la politique d'immigration française, notamment parce qu'il introduit de véritables régimes d'exception», citant «l'enfermement sans aucun contrôle judiciaire pendant cinq jours et le bannissement de l'Union européenne».
    «Officiellement, indiquent ces associations, il s'agit de transposer en droit français trois directives communautaires. Pour le gouvernement, qui fait dire à ces textes européens ce qu'ils ne contiennent pas toujours, c'est surtout l'occasion d'affûter contre les migrants les outils juridiques existants et d'en forger de nouveaux, utilisables dès leur arrivée et lors de leur éloignement, beaucoup plus expéditif, le tout en cherchant à prévenir leur retour en France et au-delà en Europe. Tous les moyens sont bons, à commencer par celui d'amoindrir le pouvoir pour les juges de sanctionner les illégalités de la police quand elle interpelle des étrangers ou les rafle en masse. Certaines pratiques, jusqu'alors condamnées par les tribunaux, vont devenir acceptables. Malgré l'échec flagrant de la politique répressive envers les migrants, et sans tirer le bilan des conséquences humaines catastrophiques de cette politique, le projet de loi s'obstine à poursuivre dans la même impasse. Son message est au fond beaucoup plus politique que technique. Il est sous-tendu par l'idée selon laquelle les migrants ne bénéficient pas des mêmes droits et n'ont donc pas la même dignité humaine que les autres.»

  • En rétention, les cinq associations d'une même voix

    Un communiqué commun? Du jamais vu pour ces associations fâchées depuis que le gouvernement est parvenu à réduire la présence de la Cimade dans les centres de rétention administrative (CRA). Après avoir été reçues au ministère de l'immigration début septembre, l'Assfam, la Cimade, Forum réfugiés, France terre d'asile et l'Ordre de Malte, ont «unanimement» dénoncé le projet de loi Besson. Sur la forme, elles regrettent de «ne pas avoir été associées à un véritable débat dès l'élaboration» du texte.
    Aux côtés des étrangers enfermés dans les centres de rétention, elles critiquent, sur le fond, la «complication de la législation française». Pour leurs intervenants, comme pour les intéressés, il s'agit de la cinquième réforme du Code de l'entrée et du séjour en sept ans, soit autant d'astuces à connaître et de chausse-trapes à éviter.
    Précisément, elles dénoncent la privation de liberté des étrangers pendant cinq jours sans présentation au juge judiciaire, la réduction du pouvoir de ce juge «qui ne pourra plus tirer les conséquences légales de certaines irrégularités», l'allongement «inutile» à 45 jours de la durée de la rétention, la création d'un bannissement administratif «sans aucune protection pour certaines catégories de personnes», la création de zone d'attente «mobiles» ainsi que les «entraves supplémentaires» mises à l'exercice du droit d'asile. Au final, elles estiment que cette réforme risque de conduire «à la multiplication de gestes désespérés et à une dégradation du climat» dans les CRA.

    Les juges administratifs face à l'inflation du contentieux

    Syndicat majoritaire des juges administratifs, le Syndicat de la juridiction administrative (SJA) a fait savoir, dès avril 2010, qu'il était «solidaire» de ses collègues judiciaires «à qui il est implicitement reproché d'avoir appliqué le droit dans l'affaire des réfugiés kurdes débarqués en Corse en début d'année». L'ordre d'intervention des juges (judiciaire d'abord pour contrôler la régularité de la procédure de privation de liberté, administratif ensuite pour vérifier la légalité de la décision d'éloignement) va être inversé, regrette-t-il, ce qui aura pour effet «d'escamoter en pratique le juge judiciaire par le biais d'un allongement de deux à cinq jours de la période initiale de rétention». Ce projet, selon lui, est «sous-tendu par l'idée erronée que le juge administratif s'opposerait moins souvent aux mesures d'éloignement des étrangers que le juge judiciaire alors que cela ne tient qu'à la différence de la nature des litiges soumis à ces deux juges».
    Ce «durcissement supplémentaire», ajoute-t-il, va «engendrer une nouvelle inflation de dossiers contentieux de façon totalement artificielle», puisque le juge administratif aura à se prononcer sur le sort de tous les étrangers retenus, y compris ceux qui, jusqu'à présent, étaient libérés en raison d'une irrégularité de procédure.

    La CNDH préoccupée par une «banalisation» de la privation de liberté

    Saisie par le ministre de l'immigration sur son projet de loi, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a adopté un avis négatif le 5 juillet 2010. Ses membres remarquent que le texte qui leur a été soumis «ne se borne pas à transposer les directives communautaires» et qu'il conforte l'«instabilité» et l'«opacité» du droit des étrangers. Surtout, ils notent qu'il «contribue à banaliser la privation de liberté comme technique de gestion de l'immigration, en marginalisant le rôle du juge judiciaire et en renforçant les pouvoirs de l'administration».

    Les milieux chrétiens contre la «fragilisation» du droit des étrangers

    Sur les questions d'immigration et d'asile, le courant passe mal entre le gouvernement et les Églises. Les expulsions de Roms et les déclarations de Nicolas Sarkozy sur les Français «d'origine étrangère», cet été, ont réactivé le mécontentement qu'avait suscité, dans la loi Hortefeux de novembre 2007, l'amendement du député UMP Thierry Mariani sur les tests ADN. Pour prendre les devants, une délégation de l'épiscopat s'est rendue, le 21 septembre, au ministère de l'immigration pour dire à Éric Besson que son projet de loi «questionne notre conscience».
    La Conférence des évêques de France lui a remis un message indiquant qu'il est en son devoir de «combattre toute mesure contribuant à affaiblir la famille». Rappelant leur attachement au droit d'asile, les représentants de l'Église catholique jugent, par ailleurs, «inacceptables» les mesures «qui tendent à diminuer le soutien ou les garanties d'une procédure équitable». En retardant l'intervention du juge des libertés en rétention, estiment-ils aussi, Éric Besson «contrevient» au droit d'«entendre la parole des personnes privées de liberté». «L'aide humanitaire aux migrants en difficulté, rappellent-ils enfin, ne doit jamais être confondue avec l'activité délictuelle des “passeurs”».
    Dans un appel intitulé «Ne laissons pas fragiliser le droit de l'étranger», plusieurs organismes chrétiens, parmi lesquels Acat-France (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), la Fédération de l'entraide protestante (FED) et la Cimade, estiment que la réforme Besson «constitue une étape supplémentaire dans la fragilisation d'hommes, de femmes, d'enfants et de familles déjà fortement ébranlées par les difficultés de l'exil». Le 26 août, ils sont allés plus loin en appelant les élus de tout bord à «refuser les dispositions de ce projet de loi, contraires à nos valeurs».

    Des associations inquiètes du sort des étrangers malades

    À l'origine absente de la réforme, la remise en cause du droit des étrangers malades est venue d'un amendement présenté par Thierry Mariani et adopté en commission des lois à l'Assemblée nationale, le 15 septembre. Pour Act Up-Paris, ce texte fait peser des risques sur la vie de milliers d'étrangers gravement malades (environ 28.000 personnes sont potentiellement concernées). Dans un communiqué, l'association décrit un possible scénario en cas de vote par le Parlement: «Décembre 2010: Mme N., en situation irrégulière, est expulsée vers l'Ouganda de la France où elle suivait un traitement. Elle est séropositive et atteinte d'un cancer. En Ouganda, moins de la moitié des séropositives ont accès à un traitement. Juin 2011: Mme N. meurt faute de traitements. L'amendement Mariani a réduit son espérance de vie de plusieurs années à 6 mois, l'amendement Mariani l'a tuée.»


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