28 septembre 2010

Projet de loi Besson: le soupçon et la répression

Sarkozy, Hortefeux... et maintenant Besson. Examiné en première lecture à partir de mardi 28 septembre par les députés, le projet de loi immigration, intégration et nationalité, porté par Éric Besson, s'inscrit dans le droit fil de la politique migratoire initiée en 2002 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, d'une suspicion généralisée envers les étrangers.
Depuis plusieurs mois, la contestation a pris de multiples formes. Juges, avocats, militants, hommes d'Église et associations de malades ont exprimé, tour à tour, leur inquiétude à l'égard d'une réforme jugée régressive. Dans la rue, le 4 septembre 2010, à Paris et partout en France, des dizaines de milliers de personnes ont défilé contre la «xénophobie d'État», dénonçant les actions menées par les pouvoirs publics à l'encontre des Roms. Signe d'une exaspération grandissante, cette mobilisation s'est poursuivie sous la forme d'un jeûne de dix jours devant l'Assemblée nationale et d'un appel du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable à la responsabilité des parlementaires, mis en ligne dimanche 26 septembre sur Mediapart.
Présenté en conseil des ministres avant le discours ultra-sécuritaire prononcé le 30 juillet à Grenoble par le président de la République, le projet de loi Besson a été remanié afin d'intégrer les mesures sur la déchéance de la nationalité et les expulsions de Roms. La législation comme instrumentalisation de l'actualité, puisque déjà, l'arrivée de Kurdes de Syrie sur les côtes corses, en janvier 2010, avait donné lieu à la rédaction d'articles de loi sur-mesure.
Cinquième réforme législative en sept ans, ce texte de «maîtrise de l'immigration» se veut «équilibré», à savoir «juste et ferme», l'ex-transfuge du PS reprenant mot pour mot la terminologie utilisée en 2003, 2006 et 2007.
«Équilibré»? Le projet de loi consiste en une série de durcissements du Code de l'entrée et du séjour des étrangers. À une ou deux exceptions près, il ne comprend aucune amélioration en matière de droits des migrants. Il invente en priorité de nouveaux dispositifs pour faciliter les retours forcés, bannir les «indésirables» et fragiliser les conditions de vie des étrangers malades. L'intégration n'est vue que sous le prisme des efforts supplémentaires à fournir par les immigrés en vue d'une hypothétique «assimilation». En matière de nationalité, c'est la sanction d'une éventuelle déchéance qui est mise en avant.
Sous couvert de transposer des directives européennes, ce texte modifie une nouvelle fois en profondeur le travail des juges et des avocats, en le complexifiant. L'accès des personnes à leurs droits, déjà aléatoire et ténu, est rendu plus difficile encore. Le pouvoir de l'administration se renforce, au détriment du pouvoir du juge judiciaire gardien des libertés. Il est peu probable que l'État y gagne en efficacité, comme le ministre le prétend, mais un autre objectif est atteint: banaliser la privation de liberté et ériger la politique de la peur en technique de gouvernement. Passage en revue des bouleversements à prévoir.

Rétention: allongement de la durée d'enfermement

Trahissant la promesse de son prédécesseur Brice Hortefeux de ne pas y toucher, Éric Besson veut faire passer la durée maximale d'enfermement dans les centres de rétention administrative (CRA) de 32 à 45 jours, comme la directive «retour», votée par le Parlement européen en juin 2008, l'y autorise. But affiché: laisser plus de temps aux consulats pour délivrer les laissez-passer, sans lesquels les étrangers ne peuvent être expulsés. «La France restera le pays européen dont la durée maximale de rétention est la plus courte», répète le ministre, omettant de rappeler qu'en majorité, les reconduites à la frontière ont lieu au cours des dix premiers jours de rétention.
Dans son rapport de juillet 2009, le sénateur UMP Pierre Bernard-Reymond estimait lui-même que «l'allongement de la durée de rétention n'apparaît plus, en règle générale, comme un moyen d'améliorer l'efficacité du système alors que son coût n'est pas négligeable». De sorte que la mesure apparaît principalement punitive: même si les étrangers sont libérés in fine, ils auront passé plus de temps enfermés, toujours dans la peur d'être expulsés. 

Plus de pouvoir à l'administration, moins au juge des libertés

Au motif de rendre l'action administrative et contentieuse «plus efficace», le ministre propose, en rétention, de retarder l'intervention des juges des libertés (JLD) de 48 heures à 5 jours. Les juges administratifs, chargés de statuer sur la légalité de la mesure d'éloignement, seront amenés à se prononcer avant les juges des libertés dont la mission est de contrôler les conditions d'arrestation, de placement en garde à vue et de maintien en centre de rétention ou en zone d'attente. Des expulsions pourront ainsi être exécutées sans que les JLD aient été sollicités.
Pour le ministère, il s'agit de contourner ces juges judiciaires accusés, implicitement, de faire obstacle aux reconduites à la frontière. Il s'agit aussi de réduire leur champ d'action: ils ne disposeront plus que de 24 heures pour statuer et les irrégularités de procédure n'entraîneront la nullité que si elles présentent «un caractère substantiel» et ont pour effet «de porter atteinte aux droits de l'étranger». Par ailleurs, le deuxième juge des libertés, appelé à se prononcer pour un éventuel prolongement de la rétention, ne pourra soulever une irrégularité qui n'aurait pas été relevée par le premier juge. 

Des expulsés bannis du territoire européen

Le projet de loi crée une interdiction de retour sur le territoire français, qui se veut «dissuasive, notamment au regard de sa dimension européenne». De fait, les personnes concernées – y compris celles résidant en France depuis des années, y étant mariées ou ayant des attaches familiales – ne pourront plus revenir, une fois expulsées, ni en France, ni ailleurs en Europe pendant une durée de deux ou cinq ans.
Ce dispositif découle de la directive «retour», mais Éric Besson n'a pas jugé utile de transposer les garanties qu'elle prévoit (recours suspensif, catégories de personnes à protéger et règles d'abrogation).

Droit d'asile: des zones d'attente partout en France

Lorsqu'une centaine de Kurdes de Syrie ont débarqué en Corse, le ministre de l'immigration avait exigé qu'ils soient placés dans divers centres de rétention en France en vue de leur reconduite à la frontière. Mais les juges ont ordonné leur libération, notamment car ces personnes souhaitaient demander l'asile. En réaction à ce désaveu, Éric Besson a décidé de modifier la définition des zones d'attente. Ces espaces sont aujourd'hui localisés dans les aéroports, les gares et les ports internationaux, où les étrangers demandant l'asile sont maintenus le temps que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) statue sur leur sort.
Pour éviter que des personnes ne passent entre les mailles du filet, le projet de loi prévoit d'étendre ces zones «du lieu de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche». Dans ce cas de figure, les exilés kurdes auraient pu être retenus, voire éloignés rapidement.

Des atteintes au droit au séjour des étrangers malades

En commission des lois, le 15 septembre, le député UMP Thierry Mariani a fait adopter un amendement mettant en danger les étrangers gravement malades, c'est-à-dire ceux «dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité». Depuis la loi Chevènement de 1998, ces personnes obtiennent une carte de séjour temporaire lorsqu'elles ne «peuvent effectivement  bénéficier d'un traitement approprié» dans leur pays d'origine.
Le projet de loi propose qu'elles n'en bénéficient qu'en cas d'«inexistence» du traitement dans leur pays d'origine, alors que, pour les malades, la question, vitale le plus souvent, n'est pas de savoir si les médicaments existent, mais s'ils y ont accès. Dans certains pays, du Sud notamment, les traitements sont théoriquement disponibles, mais les personnes qui devraient en bénéficier ne peuvent les acheter pour de multiples raisons (coût, quantité insuffisante, éloignement du lieu d'habitation).

Création d'une «carte bleue» européenne

Transposition de la directive européenne «carte bleue» du 25 mai 2009, un nouveau titre de séjour est créé. Les critères sont des plus sélectifs car l'objectif est de n'attirer qu'une main-d'œuvre «hautement qualifiée». Sont éligibles les personnes disposant d'un contrat ou d'une promesse d'embauche ferme pour un emploi «hautement qualifié» d'une durée d'au moins un an, justifiant d'un niveau de diplôme d'au moins trois années après le baccalauréat ou de cinq années d'expérience sur un poste «hautement qualifié» dans le même secteur professionnel et dont le salaire mensuel atteint environ 4.000 euros. Au regard de l'échec de la carte «compétences et talents» créée par Nicolas Sarkozy en 2006 – 469 étrangers seulement en ont bénéficié en 2009 –,  il est à prévoir que la carte bleue, qui s'inscrit dans une vision utilitariste de l'immigration, sera, de la même manière, délivrée au compte-gouttes.

Travailleurs sans papiers: rien en matière de régularisation

En cas de licenciement, un travailleur sans papiers aura droit à une «indemnité forfaitaire» non plus d'un mois, comme le prévoit la législation aujourd'hui, mais de trois mois. Dans le sillage de la directive européenne «sanction» du 18 juin 2009, Éric Besson prend quelques mesures à l'encontre des employeurs d'étrangers sans autorisation de travail, notamment des sanctions pénales visant les donneurs d'ordre en cas de sous-traitance et la fermeture administrative d'un établissement, sans préciser que les moyens de contourner ces dispositifs restent nombreux et sans appeler le ministre concerné à augmenter le nombre d'inspecteurs du travail.
Le projet de loi, par ailleurs, ne dit pas un mot des critères de régularisation des travailleurs sans papiers, alors même que le ministre s'est engagé, en juin 2010, à «traiter dans de meilleurs délais chacun des dossiers présentés» et à «mieux tenir compte des spécificités de certains secteurs professionnels (intérim, nettoyage et aide à la personne)». Mais le gouvernement préfère s'en tenir à un accord sans valeur législative contraignante. 

Intégration: aucun droit supplémentaire, que des obligations

En la matière, le projet de loi tire les leçons du «grand débat sur l'identité nationale», selon Éric Besson. Les candidats à la nationalité française devront signer une «charte des droits et devoirs du citoyen français» rappelant les «principes et valeurs essentiels de la République». L'objectif, en filigrane, est d'exclure les femmes portant le voile intégral et leurs maris.
Introduit par amendement, le dispositif élargissant la déchéance de nationalité voulu par Nicolas Sarkozy s'appliquera aux personnes ayant été naturalisées depuis moins de dix ans en cas de «meurtre ou violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner» commis sur un dépositaire de l'autorité publique. Un faible nombre de personnes devrait être concerné, mais l'effet d'annonce est là, transposé dans la législation. En instaurant une hiérarchie entre les Français, cette mesure contrevient au principe constitutionnel d'égalité de tous les citoyens devant la loi.

Des mesures visant implicitement les Roms

Pour coller au discours de Grenoble, des amendements présentés par le gouvernement ont été votés en commission des lois. Les ressortissants européens présents depuis plus de trois mois sur le territoire pourront être expulsés si leur comportement «a menacé l'ordre public» ou s'ils ont exercé une activité salariée sans autorisation alors qu'ils y étaient soumis. Par menace à l'ordre public, le projet de loi entend, par exemple, «trafic de stupéfiants», «proxénétisme», «exploitation de la mendicité», «vol dans un transport collectif», mais aussi «occupation illégale d'un terrain public ou privé». Et cela, alors même que le tribunal administratif de Lille a annulé, le 27 août 2010, des arrêtés d'expulsion de Roms au motif que l'occupation illégale d'un terrain communal ou privé «ne suffit pas à caractériser l'existence d'une menace à l'ordre public».
En cas de séjour de moins de trois mois, le projet de loi envisage là aussi des durcissements: les personnes ne pourront rester sur le territoire que tant qu'elles «ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale français». Il élargit enfin les possibilités d'éloignement en cas d'«abus de droit». Les Roms ne sont pas cités, mais ce sont eux qui sont visés.

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