2 octobre 2010

INTERVIEW de SÉGOLÈNE ROYAL PRÉSIDENTE PS DE LA RÉGION POITOU-CHARENTES « Les intérêts de la nation sont sacrifiés à l'intérêt électoral »

PROPOS RECUEILLIS PAR Les Echos

Comment jugez-vous le projet de loi de Finances ?

La dette publique a doublé en cinq ans et, donc, les efforts ne sont pas suffisants pour résorber les déficits que le gouvernement a creusés. Chaque jour, c'est près de 1 milliard d'euros qui sont empruntés ! On ne peut pas laisser la dette qui pèse sur les jeunes générations s'alourdir chaque année. Il aurait fallu faire, depuis trois ans, de vraies réformes de structures courageuses au lieu de laisser déraper les déficits. Disons-le clairement, les intérêts de la nation sont sacrifiés à l'intérêt électoral : le budget 2011 est celui de la précampagne présidentielle, c'est pourquoi il est si timoré. Comment expliquer autrement la timidité de la remise en cause des niches fiscales, dont moins de 1 % est « raboté » ? Comment expliquer autrement l'obstiné maintien du bouclier fiscal, alors même qu'une partie de l'UMP le trouve de moins en moins défendable ?

Le gouvernement espère réaliser 10 milliards d'euros d'économies en « rabotant » les niches fiscales...

Certaines mesures vont dans le bon sens, mais elles auraient mérité d'être mieux ciblées, comme l'annualisation des exonérations de cotisations patronales. Il faudrait en exempter les PME exposées à la concurrence internationale et qui créent des emplois. D'autres mesures doivent être encadrées. Je pense ici aux nouvelles taxes : si elles ne sont pas encadrées, elles seront répercutées sur les clients. Ainsi, les nouvelles taxes bancaires, la contribution des assurances et la hausse de la TVA sur les forfaits Internet-mobile-TV doivent être prises sur les bénéfices, pas sur les consommateurs. Certaines mesures sont néfastes, comme la suppression de l'avantage fiscal vert qui existait. La conversion écologique est un enjeu de croissance et de compétitivité pour la France. Je propose de supprimer les niches ayant un effet carbone négatif plutôt que celles qui encouragent les énergies renouvelables. Enfin, taxer le mariage, ce n'est pas juste.

Qu'aurait-il alors fallu faire ?

La situation du budget de l'Etat est très difficile. Dans un contexte moins sévère, François Fillon disait en septembre 2007 que « l'Etat [était] en faillite ». Aujourd'hui, il ne suffit plus d'ajuster à la marge les dépenses et les recettes de l'Etat. La fiscalité des revenus est devenue incompréhensible et, surtout, très inégale. Comme d'autres pays l'ont fait, il faut tout d'abord remettre à plat tout notre système fiscal, avec trois objectifs. Premièrement, la transparence, afin que chacun connaisse chaque année son taux d'imposition véritable. Deuxièmement, s'en tenir à une règle simple : à revenu égal, impôt égal, pour les revenus du travail comme pour ceux des placements ou du patrimoine. Troisièmement, mettre en place un seul impôt progressif, avec la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, à prélèvement constant, et le prélèvement à la source. C'est ce que nous avions proposé en 2007.
Ensuite, il est évident qu'il est possible de dépenser mieux en dépensant moins. C'est ce que j'ai fait dans la région que je préside, en refusant d'augmenter les impôts depuis six ans, avec des dépenses identiques et une dette stable tout en ayant mis la région Poitou-Charentes au premier rang de la croissance verte, avec le plan photovoltaïque et la voiture électrique notamment. Grâce à des redéploiements importants, 1 euro dépensé égale 1 euro utile. On peut tenir les comptes sans renoncer à aucune des actions prioritaires définies. Et ça marche. Ce qui est possible au plan local l'est au plan national.

Que pensez-vous du gel des dépenses de l'Etat et des dotations aux collectivités locales, ainsi que des 30.000 postes de fonctionnaires qui seront supprimés en 2011 ?

Toute mesure trop générale est vouée à l'échec. Il est plus efficace de définir les secteurs où le nombre de fonctionnaires doit augmenter pour répondre aux besoins et celui où il doit diminuer. Améliorons l'organisation du service public pour améliorer le service rendu : n'oublions pas que c'est un levier du développement économique, comme le soulignent régulièrement les investisseurs étrangers. Ne détruisons pas cet atout du modèle français. Pour finir, je voudrais insister sur ce point : faute d'une vraie politique industrielle, c'est la consommation qui tire encore notre croissance : il est donc impératif de ne pas casser ce ressort par des taxes nouvelles.

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